Les artistes sont souvent les témoins géniaux des phénomènes de société. A regarder les plus créateurs parmi les cinéastes, les metteurs en scène, les romanciers ou les peintres, on découvre souvent avec étonnement leur pénétration pour dénoncer les formes nouvelles du mépris de l'homme. Ainsi, chez l'un d'entre eux, le plus significatif sans doute de cette tendance, le peintre britannique Francis Bacon, découvre-t-on un traitement impitoyable, systématiquement horrible et repoussant, du visage humain. Ses tableaux dépeignent des êtres écrasés, pulvérisés, broyés, certains corps étant aspirés par des bidets de WC comme des déjections repoussantes. Une humanité sans apparence humaine, un peu comme le Serviteur souffrant d'Isaïe ou le Christ de certaines représentations de la fin du XIVe siècle. Horreur rehaussée, si l'on ose dire, par la beauté des couleurs et la sublimité des encadrements qui momifient encore un peu plus ou pétrifient ces loques et ces débris d'hommes.
De tels tableaux bousculent une vision lénifiante et apaisante de notre humanité ; ils nous renvoient une image qui n'est pas sans faire penser aux visages des prisonniers de camps de concentration. Une telle peinture est-elle une dénonciation de l'inhumanité des humains, de ce que nous sommes capables de nous infliger les uns aux autres ? ou est-elle une forme morbide et nihiliste de complaisance pour la déshumanisation de l'homme, une façon d'en rajouter dans le dégoût et l'ignoble ? C'est un fait : l'art contemporain, en nombre de ses expressions, dévoile, révèle ou multiplie par complaisance ou par fascination des figures de mépris de l'homme. Et si ces artistes nous renvoyaient dans l'ambiguïté même de leur message, à une image que nous ignorons, ne voulons pas voir ? Et s'ils détruisaient l'idée complaisante entretenue par la modernité d'une humanité advenue à elle-même, honorée de toutes parts, puisqu'enfin sortie de siècles dits « d'obscurantisme » et émancipée de son statut de « mineure » pour accéder à la liberté autonome ?

UNE SOCIÉTÉ DE CONFORT


Devant les visages défigurés, torturés, engloutis, écrasés de Bacon, on est tenté de réagir et de nier ces « excès », de n'y