L'humanité est débordée. Elle prend l'eau de partout, ne sait plus où donner de la tête et de plus en plus nombreux sont les territoires où elle n'a plus pied. Selon Emmanuel Mounier1, ce naufrage date de la Renaissance, du divorce entre l'esprit humain et la matière. Certes, les relations n'avaient jamais été fluides dans l'Antiquité, le monde physique étant au païen d'une parfaite opacité, mais, avec l'incarnation de Dieu au sein d'une nature qu'il avait lui-même créée, le christianisme a permis à l'humanité d'entretenir durant des siècles, bon an mal an, des liens d'« amitié » avec ces biens communs que sont les éléments (eau, terre et air) – ce dont témoignaient entre autres les pratiques et la culture des mondes maritime et agricole, ou l'équilibre des églises et des cathédrales dans leurs rapports à la lumière et à l'atmosphère. La rupture, selon Mounier, remonte à Descartes : « Impatient de pureté rationnelle, intolérant des lenteurs et des lourdeurs de la matière, on sait comment il a coupé la matière de l'esprit, balayé en elle tous les appels et tous les échos qui l'unissaient à l'homme et au reste de la réalité spirituelle, et comment tout cet univers qui répondait à notre voix, que l'on touchait de la main ou du cœur, comme l'artisan caresse son ouvrage gonflé de sa pensée, il l'a livré, vacant, aux puissances mathématiques2. » Il n'est guère, depuis lors, de réalité digne d'intérêt que chiffrée et mesurable.

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