Le recueil d'aphorismes est un genre difficile mais qui peut être lumineux. Il s'agit, en peu de phrases, de dire une intuition, de défier son lecteur par une ligne énigmatique et de prendre sciemment le risque de soumettre son « je » à une permanente exposition. Appartenant depuis longtemps au monde du journalisme et de l'édition, Stéphane Barsacq révèle ici qu'il est un homme de lectures et d'écoute, de convictions et de foi. Conformément à la maxime talmudique qui impose de citer ses sources, il rend explicitement hommage à ceux qu'il appelle ses maîtres, en particulier Simone Weil, Edmond Jabès et Yves Bonnefoy et qui ne sont tels que dans la mesure même où ils ne veulent pas de disciples serviles mais que d'autres deviennent auteurs, et donc libres, à leur tour. Confronté à cette parole habitée, libre, fulgurante parfois et souvent dérangeante, le lecteur sera sans cesse renvoyé à sa propre foi et à ses propres choix (de vie, comme de lecteur). C'est à quelque chose d'extrêmement délicat que s'est risqué Stéphane Barsacq, tant il est difficile de parler sous cette forme ramassée, paradoxale souvent, et provocante parfois, de choses délicates sur lesquelles notre société préfère se taire, quand elle ne cherche pas à les ridiculiser a priori. Il y faut un indéniable courage et soyons reconnaissants à l'auteur d'avoir eu cette audace sereine : on devine que la mort, approchée de près, l'a libéré de bien des peurs littéraires et l'a poussé à ne pas trembler de se livrer ainsi. J'ai été frappé par la récurrence d'évocations de la pensée de René Girard ou de Blaise Pascal. L'art, en particulier la musique (Bach, Purcell, Brahms), joue un rôle réel dans son itinéraire. Chacun, en fonction de la couleur de sa foi et de ses propres auteurs de prédilection, consonera plus ou moins avec les différents aphorismes. Vu la nature éminemment personnelle d'une telle confession, il est naturel que certains aphorismes ne convainquent pas tel ou tel. Personnellement, une certaine défiance envers l'intelligence et le travail des théologiens m'est apparue à l'occasion quelque peu cavalière, même si je crois en percevoir le motif. D'autres propositions m'ont paru plus convenues ou banales. Mais cela n'ôte rien à la valeur d'un tel livre, plus à méditer qu'à lire, où quelques éclairs suffisent à illuminer une journée. Un croyant parle sans faux-semblants et ouvre des espaces de respiration. Il est pleinement lui-même et nous tire vers le haut, c'est-à-dire, à cette altitude, tout autant vers nous-même que vers Dieu.