Par-delà cependant le personnage (que voulut incarner au théâtre Pierre Fresnay), le « mutant » (Guitton suggérait la notion, qui faisait de l’homo mysticus le futur de l'homo sapiens), la monade (« comme les nombres premiers, il n'était divisible que par lui-même »), tous ses amis ont témoigné aussi avec vénération de l'incomparable maïeutique et de l'héroïcité des vertus de ce vieux lazariste aveugle qui laissa ses écrits confidentiels ou inachevés, mais dont la disponibilité avait ensemencé la vie d'une pléiade de jeunes universitaires. Recueillant ses logia et glanant précieusement ses fioretti, ils étaient certains de tenir avec lui quelque nouveau Socrate dont ils pourraient devenir les Platon en le laissant « s'incorporer à leur substance » 1.
Une intelligence hors du commun
Né en 1847 dans un. hameau du diocèse de Saint-Flour, ce « pâtre du Cantal devenu fils de saint Vincent » avait eu le parcours alors presque banal des jeunes paysans se signalant par leurs dons intellectuels et leur piété. Repéré par son curé et entré à quinze ans au petit séminaire, où cet humble aurait gâché exprès ses devoirs pour être moins souvent classé premier, Guillaume avait rejoint en 1867 le noviciat parisien de ses maîtres lazaristes, pur produit de la méritocratie ecclésiastique, complétant cependant en autodidacte et dans toutes les directions une formation qu'il jugeait en détail et en gros très déficiente. Ordonné en 1872 et d'abord professeur de sciences au petit séminaire d'Évreux, il avait définitivement rejoint en 1888 le scolasticat de la Maison mère parisienne, ajoutant à son cours de sciences un cours d'Histoire ecclésiastique et d'Ancien Testament, la plupart de ses élèves étant promis à des missions lointaines. « Cet homme extraordinaire avait tâté de toutes les sciences, se souviendra l'un d'entre eux. Il les saisissait à leur point de convergence, plus exactement à leur source commune, à la sortie de l'unique essentiel, alors qu'elles ne sont pas encore différenciées et qu'elles relèvent de la raison pure » 2.
Aprè...
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