Soixante-dix ans après sa mort, le 24 février 1933, le visage de Monsieur Pouget se perd de nouveau dans les limbes d'où ses disciples l'avaient un instant retiré, Jacques Chevalier et Jean Guitton, ses deux principaux hagiographes, ayant trop insisté sans doute sur l'ineffabilité de sa présence, le clair-obscur de son message, le volume de son crâne et le fatras de sa mémoire, la rusticité de ses coutumes, la pauvreté de son costume, l'originalité de ses méthodes, pour ne pas emporter un peu avec eux la figure spirituelle, révélée mais aussi éclipsée par le phénomène excentrique : « Monsieur Pouget ne ménageait pas de transition entre la solitude et la société. Il passait de l'une à l'autre en pantoufles, en calotte à oreilles, sans changer d'habit ni d'esprit. Sa première phrase articulée en vous abordant était souvent la fin de la phrase intérieure commencée dans sa chambre. »
Par-delà cependant le personnage (que voulut incarner au théâtre Pierre Fresnay), le « mutant » (Guitton suggérait la notion, qui faisait de l’homo mysticus le futur de l'homo sapiens), la monade (« comme les nombres premiers, il n'était divisible que par lui-même »), tous ses amis ont témoigné aussi avec vénération de l'incomparable maïeutique et de l'héroïcité des vertus de ce vieux lazariste aveugle qui laissa ses écrits confidentiels ou inachevés, mais dont la disponibilité avait ensemencé la vie d'une pléiade de jeunes universitaires. Recueillant ses logia et glanant précieusement ses fioretti, ils étaient certains de tenir avec lui quelque nouveau Socrate dont ils pourraient devenir les Platon en le laissant « s'incorporer à leur substance » 1.

Une intelligence hors du commun


Né en 1847 dans un. hameau du diocèse de Saint-Flour, ce « pâtre du Cantal devenu fils de saint Vincent » avait eu le parcours alors presque banal des jeunes paysans se signalant par leurs dons intellectuels et leur piété. Repéré par son curé et entré à quinze ans au petit séminaire, où cet humble aurait gâché exprès ses devoirs pour être moins souvent classé premier, Guillaume avait rejoint en 1867 le noviciat parisien de ses maîtres lazaristes, pur produit de la méritocratie ecclésiastique, complétant cependant en autodidacte et dans toutes les directions une formation