Gustave Thibon écrit que « les secrets jetés au vent deviennent autant de mensonges » : c'est ainsi que dans les contes les joyaux usurpés deviennent des serpents. Sortir du mensonge, c'est peut-être sortir pour commencer de l'illusion que tout se peut dire à tous, et sans dommage (à la fois pour ce qui est dit et pour ceux qui l'entendent) ; en d'autres termes, et selon la superstition d'un scientisme de méthode ici ravageur, que des auditeurs interchangeables sont les destinataires indifférents de vérités équivalentes. Pour tous et pour personne : le sous-titre nietzschéen trouve ici son sens le plus nihiliste, où et signifie c'est-à-dire. Le monde sans secret est à la lettre le monde de personne ; lequel est évidemment un mensonge, puisqu'il y a des hommes à qui l'on ment en leur faisant croire qu'ils sont nuls et non avenus : le mensonge est ici la contre-nature d'un monde sans ombre ni relief, un monde sans histoire — et sans histoires, où la singularité de l'homme réel fait figure au mieux d'incongruité. Les nouveaux puritains haussent le sourcil et pincent le nez : l'homme réel est fâcheux, incorrect, selon cette political correctness qui nous tient lieu désormais de morale et de métaphysique. Métaphysique à vrai dire un peu courte, et morale expéditive : sur le mode impératif propre au genre, on la trouve sous-jacente aux innombrables écrans devant quoi nous sommes cantonnés : « Tais-toi, tu es mort. »
« Tais-toi » se dira aussi bien : « Parle ! » (c'est-à-dire : « Cause toujours... »). Armand Robin annonçait l'avènement, par la radio, de la « fausse parole », laquelle suscite indéfiniment parole et fausseté ; car sa fausseté implique un effort indéfini, celui d'empêcher que le vrai ne se dise ; la fausse parole est par nature intarissable. Quand Ramana Maharshi écrit que « le silence contient toutes les initiations », il rappelle que la parole de Dieu, c'est-à-dire la parole vraie, tautologie en ce cas seulement hélas (encore que — c'est un réflexe bien connu en psychologie — chacun, fût-il le plus fieffé menteur, croie spontanément à la véracité de la parole d'autrui), que la parole de Dieu, donc, s'offre à nous sous les espèces du silence. « Votre Père qui est dans le secret... »
La première façon de sortir du mensonge, et la plus offensive — car il s'agit bien là d'une guerre intérieure,...
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