Désinvestissement
Les thèses sur la déchristianisation de nos contemporains ne sont plus de mise et sonnent étrangement « datés » : comment déplorer une éventuelle sortie du christianisme chez des personnes qui n'ont pratiquement jamais eu de contact avec la foi chrétienne, pour qui elle est un archaïsme largement inconnu ou simplement bizarre ? Cette non-christianisation de générations entières est sans doute un échec des Églises ou l'attestation de leur incapacité à proposer leur message. Mais elle provient aussi (surtout ?) très fondamentalement d'un désintérêt pour les choses de la religion, d'un désinvestissement massif qui conduit à déserter un espace ou des réalités dont on ne voit plus la pertinence, ni en quoi il pourrait contribuer à apporter quelque chose à sa propre vie.
Le philosophe italien Benedetto Croce écrivait dans les années 40 : « Une institution ne meurt pas à cause de ses erreurs accidentelles et superficielles, mais seulement quand elle ne satisfait plus aucun besoin, ou à mesure que s'épuise la quantité et que baisse la qualité des besoins qu'elle satisfait » 2. Et si l'on met volontiers en accusation l'institution ecclésiale, on devrait s'interroger sur l'existence, la qualité et la quantité (pour parler comme Croce) des besoins religieux de nos contemporains, et surtout sur l'aptitude de la société à les obturer ou à les éteindre. Car contrairement aux apparences et aux propos tenus au sujet des retours du religieux, il faut affirmer que la demande proprement religieuse est faible et que nos contemporains investissent leurs attentes ailleurs. Phénomène sans doute moins neuf qu'il semble, puisque Pascal dénonçait déjà le divertissement des mondains, mais qui prend une ampleur culturelle neuve, tant nos sociétés fournissent des détournements multiples vers le loisir, les plaisirs, le spectacle, la performance professionnelle ou la course dans la concurrence, et ceci dès...
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