La lecture ou l’écoute de la Passion nous met souvent mal à l’aise. D’une part c’est un long récit aux multiples tableaux auquel on « accroche » plus ou moins. Mais plus profondément, par la mémoire de l’injustice criminelle infligée à Jésus qui éloigne ses proches et le laisse seul devant une mort inique, se ravive en nous la culpabilité de ceux qui se sentent complices et impuissants devant le mal qui s’abat sur le juste. Aujourd’hui comme hier.

Ce malaise pourrait bien être une bonne « porte » pour entrer nous aussi dans la Passion du Christ et rejoindre d’autres personnages du récit. Celle, celui, ceux avec qui nous sentons davantage d’affinité immédiate. Et suivre de près ou de loin, par le regard et la sensibilité, Jésus marchant de dépouillement en dépouillement jusqu’à la croix.  Saint Ignace, en effet, au début de la Passion, propose de demander la grâce d’éprouver « peine, douleur et confusion parce que c’est pour mes péchés que le Seigneur va à la Passion ».

Aucun dolorisme, aucune culpabilisation ne sont de mise ici. Si je peux éprouver de tels sentiments et sensations devant ce qui advient à Jésus, c’est que j’en suis sauvé. En même temps, la tendresse et la lumière du cœur me sont données gratuitement, pour accueillir dans toute leur vérité les gestes, les paroles, les sentiments -peurs, lâcheté, répugnance, etc.- qui m’empêchent de suivre le Christ dans son amour pour moi. L’étendue (jusqu’à l’extrême, dit St Jean) de son amour et mon besoin de celui-ci sont donnés dans un même mouvement, et cela me conduira peut-être à oser un geste comme celui de Véronique, ou des larmes comme celles de Pierre, ou simplement comme Jean, à user de relations et compétences pour suivre de plus près, mieux comprendre, gagner sur mes peurs et entrer davantage dans ce mystère de vie et d’amour jusqu’au pied de la croix

Lire et méditer la Passion est donc un effet de la résurrection. C’est déjà l’action du Ressuscité en nous. La « divinité qui se cache et laisse souffrir si cruellement la très sainte humanité » de Jésus-Christ, vient éclairer ce qui relève en nous du « vieil homme » comme dit St Paul, et qui a besoin de mourir avec Jésus sur la croix : tout ce qui nous lie encore trop à la foule, aux voyeurs, à ceux qui refusent un Dieu qui se cache dans l’humanité souffrante et qui s’expose indécemment crucifié. Y reconnaître nos blessures et notre injustice, c’est accueillir et signifier le pardon où l’Eglise fraternelle ne cesse de renaître à la vie du Ressuscité.  Avec le bon larron « tu seras avec moi dans le paradis », avec le centurion « vraiment cet homme était fils de Dieu », avec Jean, « le disciple que Jésus aimait » : « fils voici ta mère ». Lisons et méditons la Passion du Christ pour nous y découvrir pécheurs pardonnés et frères de tous, les justes comme les injustes. Chemin d’humilité et d’infaillible espérance dans nos vies et celle du monde.

Bonne semaine sainte, belle montée vers Pâques !