Mère Marie a eu mille vies au long de son existence. Fille de la noblesse, première femme à suivre des cours à l’Académie de théologie de Saint-Pétersbourg, poétesse proche de l’intelligentsia et d’Alexandre Blok, membre du Parti socialiste-révolutionnaire, maire d’une petite ville de la mer Noire après février 1917, emprisonnée par les bolcheviques, jugée par les Russes blancs, exilée à Paris, deux fois mariée puis divorcée, mère de trois enfants… Cette socialiste, devenue chrétienne – comme Péguy – par approfondissement, crée à Paris, rue de Lourmel, un foyer tout à la fois refuge pour les démunis et les SDF, lieu d’enseignement et de lutte quotidienne, ordonnée par ce qu’elle appelait « le sacrement du frère », pour affirmer que « la ténèbre n’est pas morte, ni vide, / en elle se dessine la croix, / ma fin, ma fin consumée ». Le terrible xxe siècle ne pouvait tolérer trop longtemps cette âme en quête absolue de lumière. Mère Marie Skobtsov a été assassinée à Ravensbrück le Vendredi saint 1945. La biographie de Laurence Varaut, que les éditions Salvator ont eu la bonne idée de rééditer, est une des trop rares à être accessibles en langue française. Avec patience, l’auteure propose un tableau qui donne une idée de l’ampleur de cette vie, en espérant pouvoir lire des travaux d’historiens et de théologiens qui sauront rendre justice à cette femme majeure, ni d’Orient, ni d’Occident, mais de la Justice et de la Beauté, dont nous sommes des héritiers trop oublieux. 

 
Franck Damour