Après une longue absence, Marie revient. Il fallait sans doute que la discrétion de la Mère de Dieu permît que s'élucident les brouillages du passé : tensions oecuméniques, inflation d'une dévotion exorbitante, sacralisation d'une condition féminine marquée par la dépendance, malentendus sur la sexualité... La réflexion engagée depuis le Concile comme le dialogue entre les Eglises ont permis d'avancer sur un terrain plus ferme et de joindre nos voix avec plus de discernement à celles de toutes les générations qui la proclament bienheureuse.
La redécouverte de la place de Marie dans le mystère du Christ et de l'Eglise a éclairé le jubilé de l'an 2000. Après cette ouverture d'un nouveau millénaire, la foi nous montre en elle la porte. Elle est la porte par où nous est venu le salut. Elle est aussi la porte d'espérance, au tournant d'un siècle grevé de violences et de désillusions. Au sein de l'Eglise elle-même, la figure de Marie semble bien répondre à certaines impasses actuelles.
Devant le doute ou la crispation, le « oui » marial à la Parole que Dieu nous adresse à travers les événements est seul capable de rendre confiance : « Faites tout ce qu'il vous dira ! » Dans un monde où prévaut l'efficacité sur l'attention, la rationalité sur la relation, l'immédiat sur la patience, Marie rappelle que la véritable fécondité est de l'ordre de la grâce. « La dimension mariale de l'Eglise précède la dimension pétrinienne », a écrit Jean-Paul II. Autrement dit, l'Eglise est charismatique avant d'être hiérarchique. La figure de Marie affirme qu'au coeur de l'Alliance l'identité de l'Eglise est féminine.
Mais si Marie est figure de l'Eglise, c'est en tant qu'elle est une personne bien concrète, celle qui part en hâte visiter sa cousine Elisabeth, qui cherche angoissée avec Joseph leur enfant perdu à Jérusalem, qui intercède à Cana... Dans son oui, renouvelé jusqu'à la croix, Marie est Israël en personne « Bienheureuse, toi qui as cru ! » La béatitude prend en elle visage humain. Le « mariai » est personnalisant ; il préserve la foi de la gnose et la charité de l'activisme. Il nous fait aimer l'Eglise non comme une abstraction — les abstractions, a-t-on dit, n'ont pas besoin de mère — mais comme une communion de personnes.
Ainsi, le retour à une « dévotion mariale » authentique, dégagée des dérives doctrinales et des exubérances sentimentales, peut purifier l'Eglise d'une rationalité desséchante comme d'une agitation inquiète, pour la faire entrer plus joyeuse et plus confiante dans le temps que Dieu lui donne.