L’auteure, religieuse dominicaine, exerce comme médecin depuis dixsept ans dans une maison d’arrêt. Elle a publié, entre autres, un essai sur les larmes en 2012 et propose dans cet ouvrage une lecture spirituelle de l’évangile de Jean. Écrite pour le carême, comme en témoigne l’organisation du livre en quarante chapitres et six haltes, cette lecture peut aussi bien se faire à un autre moment puisqu’elle ne suit pas la liturgie, mais va et vient dans l’évangile de Jean.
Anne Lécu montre ainsi comment le lecteur peut occuper la place que dessinent l’emploi d’une périphrase « le disciple qu’aimait Jésus » au lieu de son nom, la figure polyvalente de Marie de Magdala à laquelle la tradition a assimilé plusieurs femmes de l’Évangile, ou encore les multiples visages de ceux qui se tiennent au pied de la croix : autant de procédés qui permettent à chacun de se tenir à cette place. Au terme de sa lecture, relisant la promesse de Jésus : « Je vais vous préparer une place » (Jn 14), Anne Lécu affirme que, si les demeures sont nombreuses, ce qui est offert à tous, c’est une place « près de lui », « la place royale que de toute éternité il a préparée pour nous ».
Pierre, auquel le lecteur peut s’identifier facilement, « se trompe de feu », là où il se tient cette nuit-là pour se réchauffer et renie Jésus que l’on interroge chez le grand-prêtre (Jn 18). Il est ensuite absent du texte durant la Passion de son Seigneur. Mais, après la Résurrection, un matin, sur le lac de Tibériade, c’est auprès d’un feu de braise, avec du poisson dessus et du pain, que l’attend Jésus ressuscité (Jn 21). « Il suffit que Jésus le regarde et tout en lui redevient clair, limpide […]. Il suffit que Jésus soit là, sur le rivage, à préparer le barbecue, pour qu’il se jette à l’eau afin de le rejoindre. À nouveau, il est près du feu, mais, plus que tout, près du vrai foyer. »
Dans ce parcours attentif au texte, et au texte grec même s’il ne se veut pas d’abord lecture savante, Anne Lécu offre une méditation spirituelle reliée à son expérience. Elle rappelle avec force cette parole de bénédiction : il ne s’agit pas de retrouver une innocence perdue, mais « une innocence donnée, toujours là, [qui] nous attend » dans le regard de Dieu. « J’aime à croire, conclut-elle, que l’accomplissement définitif de la résurrection nous rendra une innocence seconde. […] J’aime à croire que tous les hommes, tous, resplendiront, illuminés par le regard aimant du Christ qui voit le fond des êtres et des coeurs. »
 
Natalie Héron