Préf. M. Léna. Bayard, coll. « Christus », 2008, 143 p., 18 euros.

Jean-Pierre Lemaire est un poète. Poète, il l’est jusque dans la prose qu’il offre à ses lecteurs pour leur raconter son expérience poétique, « analogue à celle de marcher dans la neige où chaque pas crisse, inaugural ». Poète, il le reste résolument, humblement, sans hausser le ton, sans prendre la pose du prophète, du mage, du visionnaire, ni non plus céder au bavardage de l’apophatisme. Poète, il l’est même dans sa manière de faire la classe aux enfants pour leur expliquer comment écrire un poème. Jean-Pierre Lemaire est un poète généreux : plutôt que de se faire le gardien jaloux et le commentateur infatué de sa propre oeuvre, c’est son expérience qu’il donne en partage, réveillant ainsi en chacun de nous le poète depuis trop longtemps anesthésié.
Son essai a la même efficacité que ses poèmes : il simplifie, il dénude, il décante, il allège, il libère, il élargit, il pacifie. Et c’est en cela que réside le mystérieux pouvoir de la poésie. Elle n’a pas des choses à dire, des vérités à énoncer. Elle n’a d’autre message à confier que le mystère bouleversant de la gratuité du réel. Un réel qui n’est perceptible qu’au regard en éveil et à l’âme en attente. Le poète est homme de désir, disponible à l’imprévisible d’« un petit ballon vagabond tout bleu / dans le bleu de l’air » (Umberto Saba) et au moindre événement qui, dans sa nouveauté, lui devient un viatique. Mais si le poète est en attente, le réel qu’il ne cesse de guetter ne l’est pas moins. Il est « en attente du nom que le poète va lui donner et, pour commencer, de l’écoute où ce nom pourra se former ». À la croisée de cette double attente survient le poème, en réponse à l’appel silencieux qui l’a précédé. Le poète ne prend pas la parole, elle lui est donnée par l’« autre » qui « est là, pour une part, avant le poème » et qui, « debout en amont du poème, y laisse aussi sa marque », l’« autre » tel qu’il apparaît dans « le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui » (Mallarmé) comme s’il n’avait encore jamais été nommé.
« La poésie, écrit Jean-Pierre Lemaire, ne vit que de cet air neuf, de l’at­testation émerveillée qu’il y a encore au monde de l’inédit, de l’inconnu, surtout dans le proche. » Elle met en musique cette émotion première en ne comptant sur rien d’autre que le chant des mots qui, pour lourds qu’ils soient, ont l’humble privilège de parler du monde et de porter le poids de la réalité. C’est en tout cas cette « musique humaine », cette « musique d’après la Chute » que Lemaire préfère aux promesses de la « musique pure » à laquelle, enfant, il rêvait de se vouer. Il ne revendique que l’humble compétence de l’« accordeur » toujours soucieux d’obéir à « Dame Mesure » pour à chaque instant vérifier que le poids des mots est juste » et s’assurer que sa voix s’accorde à d’autres voix. Et elles sont nombreuses, les voix qui s’entremêlent dans ce livre pour faire image, mais sans « se reposer trop longtemps sur la beauté du monde » (Anne Perrier), tandis qu’à d’autres moments le poète ralentit le pas et s’attarde à commenter « Amour » de George Herbert, « Graduel » de Jean Grosjean, « Sur la difficulté d’un retour à Dieu » de Jacques Réda. Poète, Jean-Pierre Lemaire l’est magnifiquement dans cet office de lecteur, dans cet humble geste d’hospitalité. Il n’est pas de ceux qui cherchent à s’imposer ou à s’opposer. Il ne cherche pas à faire école. En nous ouvrant son atelier d’« accordeur », il nous invite à nous mettre à l’école de la Sagesse qui nous apprend à lire « notre vie grâce à l’Écriture, l’Écriture grâce à notre vie ».
Évidemment, il n’ignore pas que l’étiquette de poète chrétien agit le plus souvent comme un repoussoir. S’il l’assume, ce n’est pas par renoncement à « l’amour des choses mortelles » (Yves Bonnefoy), mais tout au contraire parce qu’il sait la valeur de la Création et entend répondre à l’« appel de son Seigneur qui a lui-même “fait le pas” de l’Incarnation ». Sagesse incarnée, Sagesse crucifiée. Le poète chrétien serait-il tenté par l’angélisme qu’une autre Parole, jamais bien loin de la sienne, le ramènerait « au pays des hommes qu’elle a pris au sérieux jusqu’à y prendre chair ».
Dans sa belle préface, Marguerite Léna estime que ce livre déploie « quelque chose comme une spiritualité de l’acte poétique, qui est aussi une spiritualité de la lecture poétique ». Tout aussi bien les lecteurs attentifs de Marcher dans la neige pourront conclure à la dimension poétique de l’aventure spirituelle en ce qu’elle requiert le même « miracle d’humilité » (René-Guy Cadou), le même renoncement, la même patience, le même consentement, la même dilatation. Les plus grands mystiques leur donneront raison qui ont le plus souvent parlé la langue des poètes.