La maîtrise de soi dans le langage chrétien
Tout le monde garde en mémoire ces vers de Corneille, prononcés par Auguste, dans Cinna :
« Je suis maître de moi comme de l'univers, Je le suis, je veux l'être. O siècles, ô mémoire, Conservez à jamais ma dernière victoire ! Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous. »
Si nous pouvons introduire cette réflexion sur la maîtrise de soi par cette tirade célèbre, c'est bien parce que la maîtrise de lui-même dont s'honore Auguste est un triomphe sur les passions de la colère et de la vengeance. Le courroux de celui qui se présente comme le maître de l'univers est pourtant juste. Il pourrait sévèrement punir ceux qui l'ont lâchement trahi. Mais il estime que le pardon le fera parvenir à la véritable noblesse de l'âme, celle de la générosité, vertu si chère aux hommes et aux femmes de la première moitié du XVIIe siècle. Le volontarisme de ses propos est compensé par une ouverture du cœur à l'ennemi même qui n'est pas sans rapport avec le christianisme, bien que ce soit un païen qui la professe. Ainsi apparaît sous l'angle de la générosité la figure de l'honnête homme mise en valeur par le Grand Siècle. La maîtrise de soi n'y est pas sa propre fin. Elle ouvre à la pratique d'une magnanimité qui définit l'idéal de l'homme. Ainsi, la « maîtrise de soi » n'est pas nécessairement l'équivalent du selfcontrol ; dans la pièce de Corneille, celui qui est maître de lui ne se présente pas sous les traits rigides d'une personnalité qui se contrôle parfaitement, mais bien plutôt sous la forme de quelqu'un qui exerce à l'égard d'autrui, et même à l'égard de ses ennemis, une grandeur d'âme qui force l'admiration.
Et cependant, l'expression elle-même résonne assez mal en langage chrétien. N'a-t-elle pas été souvent utilisée au titre d'une morale qui manquait de sens théologal ? André Derville, dans un article consacré à cette « vert...
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