Il y a un temps auquel l'âme vit en Dieu et il y en a un auquel Dieu vit en l'âme. Ce qui est propre à l'un de ces temps est contraire à l'autre. Lorsque Dieu vit en l'âme, elle doit s'abandonner totalement à sa providence. Lorsque l'âme vit en Dieu, elle se pourvoit avec soin et très régulièrement de tous les moyens dont elle peut s'aviser pour la conduire à cette union. Toutes ses routes sont marquées, ses lectures, ses comptes, ses revues ; son guide est à ses côtés et, jusqu'aux heures de parler, tout est réglé.

Quand Dieu vit en l'âme, elle n'a plus rien comme d'elle-même. Elle n'a que ce que lui donne au moment le principe qui l'anime : point de provisions, plus de chemins tracés. C'est comme un enfant qu'on mène où l'on veut et qui n'a que le seul sentiment pour distinguer les choses qu'on lui présente. Plus de livres marqués pour cette âme, assez souvent elle est privée de directeur arrêté. Dieu la laisse sans autre appui que lui seul. Sa demeure est dans les ténèbres, l'oubli, l'abandon, la mort et le néant. Elle sent ses besoins et ses misères sans savoir par où ni quand elle sera secourue. Elle attend en paix et sans inquiétude qu'on vienne l'assister, ses yeux ne regardent que le Ciel. Dieu, qui ne trouve point dans son épouse de plus pure disposition que cette totale démission de tout ce qu'elle est pour n'être que par grâce et par opération divine, lui fournit à propos les livres, les pensées, les vues d'elle-même, les avis, les conseils, les exemples des sages. Tout ce que les autres trouvent par leurs soins, cette âme le reçoit dans son abandon ; et ce que les autres gardent avec précaution pour le retrouver quand il leur plaît, celle-ci le reçoit au moment du besoin et le laisse, n'en admettant précisément que ce que Dieu veut bien en donner, pour ne vivre que par lui.

L'abandon à la Providence divine, DDB, "Christus", n°90, 2005, pp.39-40.