Dans le journal «La nation» du 14 mars, j’ai lu que ton élection «dégageait un parfum balsamique » : cet adjectif m’a paru particulièrement adapté pour exprimer ce qui nous arrive depuis que tu as pris contact avec nous du haut du balcon, sur un ton où se mêlaient timidité et confiance. Premier effet balsamique : nous te découvrons détendu et même doté du sens de l’humour (quelle merveille qu’un pape ayant le sens de l’humour… !) sans donner le moindre instant l’impression d’être écrasé par le poids de cette responsabilité accablante et démesurée que les papes ont pris l’habitude d’endosser, comme s’il leur revenait de porter à eux seuls le poids de l’Eglise universelle. Comme s’il n’existait pas d’autres pasteurs ; comme si le peuple de Dieu était un fardeau à traîner sur leurs épaules et non une communauté d’hommes et de femmes capables d’initiative et désireux de participer et d’apporter leur collaboration, selon le rêve que le Concile avait éveillé en nous.

Toi, en revanche, tu es en train de nous annoncer que, le chemin que tu entreprends, tu vas le parcourir accompagné par nous tous. C’est bien une manière franciscaine dans sa simplicité, et ignatienne dans  la clarté avec laquelle s’annonce par là un nouveau style ecclésial.  Car, si ton intention est que l’on nous reconnaisse à la fraternité, à l’amour et à la confiance, alors nous commençons à trouver (et il y a longtemps que beaucoup d’entre nous le trouvent) qu’abondent ces conduites, ces pratiques et ces habitudes où l’on confond la dignité avec la munificence et la solennité avec la somptuosité. Sentir que maintenant nous te comptons comme associé dans notre désir de changer ces habitudes et ces inerties que personne ne se décidait à déclarer obsolètes et dont l’incongruité n’alertait plus personne devient une véritable surprise à parfum balsamique. Il ne s’agit pas de questions anodines; elles constituent des signes qui révèlent une préoccupante atrophie de nos marqueurs qui auraient dû signaler depuis longtemps que nous étions en contradiction avec les manières de Jésus. Bienvenue donc à cette tâche que tu entreprends en revenant à la fraîcheur de l’Evangile et à la radicalité de ses paroles : nous percevons déjà combien, sur le plan de ce qui touche les pauvres, tu ne nous laisseras guère en repos.
Tu t’engages sur ta route à un moment d’extrême fragilité de l’Eglise, comme d’ailleurs ce jeune homme qui s’est enfui du jardin dépouillé de tout vêtement.  L’Eglise aussi s’est trouvée dépouillée de tous ces atours dont elle se protégeait : le secret absolu, l’hermétisme, la dissimulation, la négation de l’évidence. Mais c’est précisément maintenant qu’elle apparaît dépouillée, à nu face aux regards du monde qui la juge, que se présente à elle d’une manière inespérée une occasion merveilleuse : celle de revêtir enfin le seul manteau de la gloire de son Seigneur.
Tu nous as confié la tâche de te soutenir par notre prière et, dans la conjoncture actuelle, je demande pour toi plusieurs  choses : la patience face à la presse qui fouille dans ton passé, ce qui n’est qu’une conséquence de ce que tu as toi-même déclaré aux journalistes : «Il vous est arrivé de travailler, n’est-ce pas, il vous est bien arrivé de travailler…». Et bien, les voilà qui poussent les choses plus loin et qui continuent à travailler ! Je prie aussi pour que les énormes affaires que tu es en train de découvrir ne t’accablent pas au-delà du supportable et pour que tu te sentes plus libre (et efficace aussi) pour faire les choix de personnes capables de t’apporter de l’aide dans le gouvernement de l’Eglise, même si cela entraînait un ERE [1]pour la curie.
Tu vas rencontrer bien des pierres sur ce chemin : critiques, résistances et peut-être même coups bas pour te faire trébucher ; alors, en appliquant la recommandation que tu fais dans ta merveilleuse homélie de la Fête de St Joseph,  cherche à te protéger un peu toi-même. Et si jamais tu n’y arrivais pas, que les saintes de l’Eglise de Rome y veillent : Cécile, Agnès, Domitile, Tatiana, Agrippine, Démétrie, Martine, Basile, Mélanie, Anastasie, Digna, Emérite, Martine, Sabine.
On est allé te chercher au bout du monde et cela a été une réussite : merci pour avoir accepté de rester sur place, sans même la possibilité de rassembler tes affaires. Heureusement que tu étais pourvu de bonnes chaussures qui semblent bien confortables !
Nous sommes nombreux à nous savoir désormais responsables de prier pour toi, même si nous ne faisons pas partie de ton diocèse et nous nous réjouissons de savoir que tu es aussi chargé de veiller sur l’Eglise universelle. Tout à coup, le fait d’appeler Pape l’Evêque de Rome prend du sens.
Que le Seigneur te bénisse, qu’il te garde et déverse sur toi le baume de sa paix.
Dolores ALEIXANDRE, rscj+


[1] ERE est un acronyme utilisé en Espagne et qui signifie “dossier de régulation de l’emploi”. Dans le texte cela fait référence aux licenciements que cela supposerait au sein de la curie.