Liana Levi, coll. « Opinion », 2003, 141 p., 15 €.

Adulé par ses contemporains, peintre quasi officiel de la cour pontificale (trouvant en Jules II une oreille amie), mais écarté de nos jours comme héritier d'une harmonie par trop lisse et académique, Raphaël fut cependant, durant sa courte vie, animé d'un sentiment religieux à l'écoute des prémices réformistes de l'époque. Daniel Arasse nous indique le cheminement de ce sentiment par l'analyse consciencieuse de plusieurs tableaux — analyse à travers laquelle il pose deux questions : comment l'âme rencontre le surnaturel et quels moyens picturaux sont mis en œuvre par Raphaël pour en rendre compte ?
Ces œuvres offrent toutes des visions béatifiques. Les deux premières, Sainte Catherine et Sainte Cécile, exposent sans conteste un rapport néoplatonicien de l'homme à Dieu : rien ne doit détruire l'équilibre d'action des deux mondes, et c'est le sage (visionnaire ou non), par la puissance vertueuse de son pur intellect, qui accomplira l'extase divine.
L'auteur nous montre ensuite un lent glissement de pensée chez Raphaël dans la dernière vision analysée, la Transfiguration (1520) : la représentation béatifique se transforme par l'intrusion d'un nouvel élément : le divin amour. Nous passons donc de la représentation calme et subjective de l'union à la fulgurance de la grâce ; la croyance en l'intellect souverain est dépassée par cette déroutante irruption en l'homme, qui ne pourra espérer l'extase que s'il s'humilie en totalité. La mort précoce de Raphaël empêche de dire s'il aurait poursuivi cette évolution.
La deuxième et brève partie de l'ouvrage ouvre un autre horizon. Partant d'une analyse de Walter Benjamin sur la différence entre valeur cultuelle et valeur d'exposition d'une œuvre, Arasse montre, en l'appliquant à la Madone Sixtine (étrange vision de la Vierge où la peinture semble devoir être scrutée), que l'on peut en arriver à une sorte de culte d'exposition... Cela aurait mérité un plus long développement en mettant en valeur le fait que les techniques de reproduction mécaniques d'un tableau font s'interroger sur le détournement social de l'art et sur la totale autonomie commerciale qu'on lui confère, lui déniant dès lors toute signification cultuelle ou esthétique.