Publications de l'Université de Saint-Etienne, coll. « CERCOR », 2003, 448 p., 42 €.

La lecture d'une thèse universitaire est-elle nécessairement rébarbative ? Faisons l'expérience inverse en lisant le travail qu'a réalisé Marie-Amélie Le Bourgeois, bien connue des lecteurs de Christus, sur la fondatrice de sa congrégation, la Dijonnaise Anne de Xainctonge (1567?-1621). Certes, les érudits y trouvent grasse pâture les annexes sont généreuses Mais le lecteur « ordinaire » y fait son miel, régulièrement soutenu par de bienfaisants paragraphes de synthèse dès les premiers chapitres, qui mènent des vierges consacrées de l'Antiquité chrétienne aux religieuses de la Contre-Réforme L'auteur rend perceptible la lente élaboration, au long des siècles de chrétienté, du carcan qui engonçait la vie consacrée féminine lorsqu'Anne se sentit appelée à suivre le Christ. Toute la thèse est là, ou là le suspense : comment une femme pourra-t-elle concilier un appel à la vie religieuse avec son désir de liberté, désir qu'elle juge fondateur de cet appel, et parfaitement incompatible avec l'obligation de la « sainte clôture » ? Mais résumons la thèse, quitte à tuer le suspense là où saint Pierre Fourier échoua à demi et saint François de Sales tout à fait, Anne a gagné ! Elle est parvenue à faire prospérer dans l'Eglise une congrégation qui permettait à des « filles dévotes » de vivre en communauté sans clôture, « libres de sortir pour consoler et instruire celles de leur sexe ».
Une vocation aussi féministe paraissait braver les lois ecclésiastiques pour semer le trouble dans la vie sociale, et il est passionnant de découvrir comment Anne de Xainctonge va progresser sur cette route semée d'embûches culturelles et canoniques : bien choisir les personnes et les lieux ; dans les démarches, les courriers, faire preuve d'un sens juridique percutant, se dénommer « ursuline » puisque, décidément, cette appellation jouit d'une sorte de vide juridique dans le monde sourcilleux des canonistes
Et, dans les non à opposer aux rigidités romaines, laisser opérer sa détermination intérieure, fruit de vie spirituelle : écartelée entre les inspirations de l'Esprit et les exigences dé la Tradition, Anne de Xainctonge tient bon. Dans ce combat, elle rejoint bien des fondateurs de son temps. Pour mieux connaître Instituts, Ordres et autres Compagnies qui fleurissent chez les femmes au soleil du Concile de Trente, excellent guide que cet ouvrage Et à cet égard, pas question de le classer sur le rayonnage « ursulines » : si Anne était attachée aux intuitions d'Angèle Merici, à la même époque les ursulines s'en écartaient elles-mêmes pour entrer en clôture !
Rompue du côté méricien, la filiation institutionnelle est à rechercher du côté jésuite. Son Institut, dira-t-on, est « moulé sur celui de saint Ignace par proportion », et les jésuites accepteront d'entretenir, organiquement, cette connivence profonde Car la situation était claire. Anne avait compris, mieux que d'autres, qu'une congrégation féminine ne pouvait eue un corps apostolique sacerdotal et universel. Les jésuites, de leur côté, avaient su reconnaître que cette femme discernait et choisissait les moyens les plus adaptés à la fin qu'elle poursuivait : ouvrir aux femmes l'accès au savoir. Ce qui légitimait qu'elle s'inspirât largement, pour enseigner, de la pédagogie de leurs collèges et de la dynamique de leurs Constitutions pour structurer le corps de sa propre Compagnie.
L'étude du ferment ignatien des origines élève alors quatre textes fondateurs au statut d'écrits spirituels.
Faut-il y recueillir les étapes d'un parcours initiatique — avec « épreuves qualifiantes » et « auxiliaires » plus ou moins « magiques » ? Faut-il en faire, aux côtés de textes à visée plus normative, le fondement des moyens apostoliques qu'auront à préserver les compagnes à venir ? Le recours à la dynamique des Exercices pour l'interprétation de ces textes offre une lecture infiniment plus savoureuse : on entrevoit chez Anne de Xainctonge, dans sa volonté farouche de sortir, libre de toute clôture, le désir de pouvoir entrer en soi-même, pour y trouver Dieu.
Pour cette dernière partie, louons l'universitaire qui enrichit les études sur l'humanisme dévot du XVIIe siècle, mais surtout la religieuse, qu'on devine heureuse de puiser pour d'autres aux sources fondatrices.