Alors qu'un jour, occupé à l'exercice physique du travail manuel, j'avais commencé à réfléchir à l'exercice spirituel, quatre degrés spirituels s'offrirent soudain à ma réflexion, la lectio, la meditatio, l'oratio et la contemplatio. C'est l'échelle des cloîtrés, qui les élève de la terre au ciel...

La lecture est l'examen attentif des Ecritures par l'application de l'âme. La méditation est l'opération de l'esprit qui sonde par la raison le sens de leur véritée cachée. L'oraison est l'orientation fervente du coeur vers Dieu pour écarter le mal ou obtenir le bien. La contemplation est une sorte d'élévation vers Dieu de l'esprit ravi au-dessus de lui-même et goûtant les joies de la douceur éternelle...

La douceur de la vie bienheureuse, la lecture la cherche, la méditation la trouve, l'oraison la demande, la contemplation la goûte. C'est la parole même du Seigneur : "Cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira." Cherchez en lisant, vous trouverez en méditant ; frappez en priant, vous entrerez en contemplant. La lecture porte la nourriture substantielle à la bouche, la méditation la mâche et la broie, l'oraison en acquiert le goût, la contemplation en est la douceur même qui réjouit et refait...

La lecture

Prenons un exemple. En lisant, j'entends : "Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu." Cette brève parole, pleine de sens et de douceur pour nourrir l'âme, se présente comme une groupe de raisin. Après l'avoir considérée attentivement, elle se dit : "Comme ce doit être bon ! Je rentrerai dans mon coeur et je tacherai de comprendre et de trouver si possible cette pureté" (...) Elle commence alors à mâcher et broyer cette grappe, la met comme au pressoir, tout en excitant l'esprit à rechercher ce qu'est cette si précieuse pureté et comment l'obtenir.

La méditation

Commence alors une méditation attentive, qui ne reste pas en dehors ni en surface, mais qui s'élève, pénètre à l'intérieur, scrute tous les recoins (elle se souvient d'autres paroles de l'Ecriture à ce sujet, considère la récompense promise, etc.). Elle songe qu'en cette vision réside la satiété dont le prophète a dit : "Je me rassasierai à contempler ta gloire." Vois quel jus est sorti de cette grappe, quel feu de cette étincelle, combien s'est allongée sur l'enclume de la méditation cette petite masse de métal : "Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu." Et combien elle pourrait s'étendre si quelqu'un d'expérimenté la travaillait ! Car je sens que le puits est profond, mais moi, novice mal dégrossi, j'en ai à peine extrait de quoi boire une petite gorgée.

L'âme comprend par là combien il serait bon d'expérimenter cette pureté dont la méditation lui a fait connaître la joie qu'elle promet. Que fera-telle ? Elle brûler du désir de l'obtenir, mais ne trouve pas en elle-même comment l'avoir. Et plus elle la cherche, puis elle en a soif. Alors qu'elle s'applique à méditer, elle continue de souffrir, ne ressentant pas cette douceur que la méditation lui montre dans cette pureté du coeur, mais ne peut lui donner. Car il n'appartient pas à celui qui lit ou médite de la sentir ; il faut qu'elle lui soit donnée d'en haut. 

L'oraison

Voyant alors qu'elle ne peut atteindre d'elle-même cette douceur désirée de la connaissance et de l'expérience, et que plus elle s'élance, plus Dieu est élevé au-dessus d'elle, elle s'humilie et recourt à l'oraison : "Seigneur, toi qui ne peux être vu que par les coeurs purs, je cherche par la lecture et la méditation ce qu'est la vraie pureté de coeur et comment on peut l'obtenir, pour que par elle je puisse au moins te connaître un peu. J'ai cherché ton visage, Seigneur, oui ton visage, Seigneur, je l'ai cherché et longtemps j'ai médité dans mon coeur, et dans ma méditation le feu a pris et le désir de te connaître davantage (...) Je te demande ce don, Seigneur, non pas à cause de mes mérites, mais en raison de ta miséricorde. J'avoue, en effet, que je suis un indigne pêcheur, mais "les petits chiens eux-mêmes mangent donc, Seigneur, les arrhes de l'héritage futur, une goutte au moins de la pluie céleste pour rafraîchir ma soif, car je brûle d'amour."

La contemplation

Par de telles paroles, l'âme enflamme son désir, elle montre son état, elle appelle son époux. Et le Seigneur, dont les yeux se posent sur les justes et dont les oreilles écoutent non seulement les prières mais le coeur qui prie, n'attend pas même la fin, mais interrompant, cette prière au milieu de son cours, il se hâte et accourt à la rencontre de l'âme habitée d'un tel désir, baignée de la rosée d'une céleste douceur, oint des parfums les plus précieux. Il recrée l'âme fatiguée, la nourrit affamée, l'abreuve désséchée, lui fait dépasser tout le terrestre, la vivifie par un étonnant oubli d'elle-même et la rend sobre en l'enivrant (...) Dans cette contemplation si élevée, les mouvements de la chair sont tellement dépassés et absorbés par l'âme que la chair ne contredit en rien à l'esprit et que l'homme devient comme tout spirituel...

Vois-tu la cohérence de ses degrés ? Ils se suivent en agissant l'un dans l'autre. La lecture vient en premier, comme fondement, et nous fournit la matière de la méditation. La méditation cherche soigneusement ce qu'il faut désirer, elle creuse, trouve le trésor et le montre. Mais comme elle ne peut le saisir, elle nous met en prière. Et la prière, s'élevant vers Dieu de toute sa force, demande le trésor si désiré, la douceur de la contemplation. Et celle-ci, en survenant, récompense le travail des trois premières en abreuvant l'âme assoiffée de la rosée d'une céleste douceur. La lecture est un exercice externe, la méditation un acte de l'intelligence extérieure, l'oraison un désir, la contemplation un dépassement au-dessus de tout sens. Le premier degré est celui des commençants, le second des progressants, le troisième des fervents, le quatrième des bienheureux. Ces degrés sont si liés entre eux et s'aident mutuellement à ce point que les premiers sans les suivants sont de peu ou de nul profit, et que les suivants sans les précédents ne sont jamais ou que rarement acquis.