Préf. M.-Y. Perrin.
Desclée de Brouwer, coll. « Théologie à l’Université », 2009, 384 p., 32 euros.



« Silence ! On tourne… Moteur… Action ! » L’auteur, qui refuse dans cette étude tout « mirage archaïsant », me pardonnera cette moderne injonction, d’autant qu’il commence par nous faire lever les yeux vers les mosaïques décorant les basiliques comme vers des « écrans grandioses » livrant à notre regard la manière dont les chrétiens de l’Antiquité tardive « se sont représentés dans leur propre acte de célébrer ». Belle façon de préparer le lecteur à rencontrer le « profil intérieur du sujet liturgique » à travers ces deux « lieux-sources » que sont les homélies et les sacramentaires. Derrière les premières, des IVe et Ve siècles, tout un peuple vit et réagit, pendant que les seconds, plus tardifs, représentent un véritable « précipité de la pensée des Pères ». Une pensée nourrie conjointement par la vérité théologale, la confrontation roborative avec le paganisme et le réalisme des situations ecclésiales : s’il est fortement affirmé que l’assemblée concélébrante, « multitude ordonnée » des clercs et des fidèles, célèbre avec les anges la beauté de Dieu, les pasteurs n’en déplorent pas moins une tendance à l’absentéisme (sauf au moment des grandes solennités…) et Jean Chrysostome donne de la voix en utilisant un vocabulaire cynégétique pour ramener à l’église un gibier célébrant.
Foi, crainte et silence (ce « linge liturgique », selon Théodore de Mopsueste) : ces trois attitudes qualifient le temps de l’approche du Mystère qui réclame aussi, pour Léon le Grand, le « dépoussièrement » des plis intérieurs de l’être. Mais c’est déjà le Mystère à l’oeuvre, celui de ce Dieu fait homme qui fait de l’homme un Dieu. Alors peut battre le coeur de l’action liturgique, de la fête identifiée à la joie de célébrer ensemble un Dieu qui ne cesse de se révéler ami des hommes. La subtile élaboration d’un cycle liturgique « fait du temps un textile de fêtes » honorant les « mystères dans le Mystère ». Sur cet horizon, théologie et liturgie se rencontrent, cosmos et existence s’embrassent. La fête se mue en état de vie, et Léon le Grand donnera toute sa force à « l’aujourd’hui liturgique » qui transfigure le quotidien désormais polarisé par la fête finale à venir. Augustin disait en entendre la rumeur : « Je ne sais quel son chantant et très doux aux oreilles du coeur, pourvu que le monde ne fasse point de vacarme. » La liturgie pose une distance avec le monde pour le remettre à sa juste place, en Dieu, et, de ce fait, elle « engage [...] et confronte ceux qui la célèbrent à une responsabilité majeure de l’être-chrétien » ici et maintenant. En témoigne cet audacieux transfert opéré par Jean Chrysostome : le « sacré » « n’est plus dans la pompe, dans le mobilier, dans les accessoires de la liturgie, mais dans les membres les plus déshérités de l’assemblée ».
Sur tous les tons, les Pères répètent que nul, pas même un moine, ne peut se dispenser des célébrations communes, mais également que bien célébrer « ensemble » implique l’engagement plénier de chacun. Méfiants envers les manifestations de piété bavardes ou trop démonstratives allant jusqu’à des « rugissements » ou « mugissements » de certains participants, ils ne cessent d’inciter les fidèles à l’évangélisation de la sensibilité par les chants et les hymnes, à la « digestion » des homélies dans la vie quotidienne (Basile de Césarée) et à « l’intelligence de la jubilation » (Augustin). La lectio divina personnelle confine alors à la « solennité ».
Cette magistrale traversée au long cours des liturgies chrétiennes anciennes (le pluriel signifiant la reconnaissance de la diversité ordonnée au même Mystère confessé) se veut « instrument de travail destiné aux chercheurs », offert de surcroît à tout « lecteur bénévole » désireux de consulter les « archives d’un Peuple célébrant ». Pour faire partie de la deuxième catégorie, je peux attester que la pédagogie liturgique révélée ici enrichit désormais toutes les célébrations auxquelles je participe, et me fait souhaiter une lecture démultipliée de ce livre par tous ceux qui ont charge, dans les églises chrétiennes, de « célébrer divinement la fête », selon la formule de Grégoire de Nazianze.