À l’occasion de la publication du 500e volume de la collection « Sources Chrétiennes », nous avons demandé au P. Bertrand, qui en fut le directeur, de nous inviter à faire une petite croisière haute en couleurs avec certains de ces Pères dont l’influence sur les théologiens et exégètes du XXe siècle doit beaucoup aux éditions critiques de la prestigieuse collection.

Est-ce à cause de ce nom, quelque peu exotique, dont on les pare ? les « Pères de l’Église » ont le vent en poupe. Soixante-dix mille exemplaires de la collection des « Sources Chrétiennes », qui leur est consacrée, ont été vendus l’an dernier dans les trois mois d’une promotion commerciale. Lors du dernier carême, une retraite de paroisse, organisée à Paris, a été un franc succès : il s’agissait de s’y laisser conduire vers « la dignité de l’homme » par les sermons de Léon le Grand, pape du Ve siècle, un Père entre les Pères. Il est vrai que la paroisse en question a pour patron saint Léon. Mais quand même ! Et que dire des propensions patristiques de Benoît XVI ?
Le problème qui se pose à leur sujet dans la conscience chrétienne est donc simple : comment profiter de ce grand souffle alizé ? Quel brigantin ou galion affréter pour la course ? Descendons au port. Choisissons notre embarcation.
 

Clément le pondérateur


Tiens, voici Clément de Rome et la première lettre d’un pape après celles qu’il n’est pas impossible d’attribuer à l’apôtre Pierre, si on ne cède pas à la manie de repousser à toujours plus tard les dates des écrits bibliques. Nous sommes dans les dernières années du Ier siècle. Un conflit vient d’éclater dans l’« Église de Dieu en séjour à Corinthe » (sic : l’expression n’ayant pas été inventée par Jean- Paul II !), que Paul a fondée et soutenue une petite cinquantaine d’années auparavant.
Toujours turbulente, cette Église ! Vivante aussi. Clément va se servir de cette vitalité religieuse pour calmer des passions qui ne le sont guère. De fait, ce qui étonne dans cet écrit d’une cinquantaine de pages dans sa traduction française (divisé en soixante-cinq courts chapitres, quasi des paragraphes, introduits dans les éditions modernes), c’est ceci : il faut attendre les deux tiers de l’écrit (§ 44) pour que soit précisé le point douloureux de la dissension suggérée à grands traits dès le début : « Nous en voyons quelques-uns que, malgré leur bonne conduite, vous avez destitués des fonctions qu’ils exerçaient avec honneur et de manière irréprochable. » Dès lors, les injonctions se font fermes et nettes : « Si quelques-uns désobéissent à ce que nous leur avons dit de sa part [de Jésus], qu’ils sachent qu’ils s’engagent dans une faute et des dangers considérables » (§ 59). Puis tout s’apaise dans une grande prière d’action de grâce et d’intercession pour la paix, sans y oublier ceux qui, dans la conjoncture, ont davantage besoin d’y être reconduits.
Cette composition n’est pas...

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