Gallimard, 2003, 112 p., 11,50 €.

On peut dire du dernier recueil de Jean Grosjean qu'il noue la gerbe de ses précédents livres ; on y retrouve les paysages de sa campagne où il glane au fil des heures, chemin faisant, l'irisation d'une libellule, l'ombre d'une grange, une échappée vers le ciel dans l'échancrure des feuillages, avec parfois le regard singulier sur les choses et les gens de celui qui « revient de la guerre ».
Cependant, la vision du paysage est comme faufilée d'un dialogue sans cesse interrompu et repris du poète avec son Dieu : les détails aperçus, les accidents de la lumière sont des allusions, des clins d’œil de l'un à l'autre, et leur entretien donne une nouvelle mesure au temps ; les siècles y deviennent « provisoires », chaque être y passe de profil, dans l'attente amoureuse du face à Face.
Ce dialogue, le poète en cherche ensuite le modèle et la source dans les relations du Père et de son Christ : méditation poursuivie depuis La Gloire (Gallimard, 1969) sur l'aventure du Fils « s'éloignant du Père pour représenter le Père dans Tailleurs du Père » jusqu'à l'abnégation, l'effacement et l'étonnement de renaître. L'abnégation est aussi du côté du Père : « Ce n'était pas la peine d'être Dieu » conclut le poignant poème qui le représente portant le deuil après la Passion, « couché à l'écart de tout », « en proie au néant ».
Nous sommes cette fois conduits peut-être encore plus avant dans l'intimité de leur amour « mutuel » mais « inégal » où « chacun a pour chaque autre plus d'amour qu'il n'en reçoit ou qu'il ne croit en recevoir ». En même temps qu'il nous introduit dans cet « aparté qu'il y a entre le Père et le Fils », le poète le nomme c'est le Souffle, une personne « qui n'est que ce qu'elle entend ».
On retrouve encore dans la partie finale (« La soirée ») une forme à laquelle le poète avait déjà eu recours dans L'ironie christique (Gallimard, 1991), celle du commentaire biblique ou chaque verset de l'Evangile, d'abord cite dans la traduction du poète, est développé en une libre paraphrase, réflexive, lyrique, familière. Dans notre recueil, c'est la prière du Christ après la Cène rapportée par Jean qui est le thème de ce « midrash » moderne.
L'originalité des Parvis par rapport à L'ironie christique est d'attribuer le commentaire au Christ lui-même, de le déployer en vers amples ou tous les tons peuvent voisiner. Le « style » du Christ, naguère dégagé par l'exégète, est ici intégré à la voix qui parle avec autorité et humour, tendresse et laconisme. Le poète a repris le rôle même du Fils offrant au Père toute son histoire dans la « complication humaine », les « vrais amis » que le Père lui a donnés, et sa propre vie quand, par venu au bout de « l'éloignement », il va revenir vers Lui avec toute la moisson terrestre : parole sacerdotale ou s'accomplissent la mission du Christ et la vocation du poète, ou se rassemblent le « travail » du premier et l'œuvre du second, au bénéfice des hommes, des lecteurs : « Pour qu'il y ait en eux ton amour de moi et mon existence. »