Dès 1539, c'est-à-dire l'année même où les premiers compagnons d'Ignace décidèrent de se constituer en un seul corps, le problème de la formation des candidats est soulevé. Comme ces derniers ne peuvent vivre durant leurs études de la pauvreté mendiante, il est admis qu'ils logeront dans des "collèges" dotés de revenus fixes et qu'ils suivront les cours dans les Universités. Les premières réalisations auront lieu, à partir de 1540, à Paris, Louvain, Padoue, Coïmbre, Alcala et Valence.

Saint Ignace et Codure précisent en 1541 les lignes directrices de ces fondations1. Nous traduisons ici quelques pages de ce texte, qui soulignent le lien entre les études et la mission apostolique, et la nécessité de soumettre les candidats à des épreuves particulières adaptées à leurs tâches futures.

 

Le but et la fin de cette Compagnie étant de parcourir les différentes parties du monde, sur l'ordre du vicaire du Christ notre Rédempteur et Seigneur, pour prêcher, confesser et utiliser les autres moyens possibles avec la grâce divine pour aider les âmes, il nous a paru très utile ou même nécessaire que ceux qui doivent y entrer soient des sujets dont la vie soit bonne et l'instruction suffisante pour ce travail.

Comme les sujets bons et instruits se trouvent peu nombreux, en comparaison des autres, et comme, parmi ce petit nombre, la plupart ont déjà le désir de se reposer de leurs travaux passés, nous rencontrons une grande difficulté à ce que la Compagnie puisse s'accroître de sujets instruits, bons et savants, tant à cause des grands travaux que de la grande abnégation de soi-même qu'elle exige ; de sujets qui soient prêts à marcher et à travailler jusqu'aux extrémités du monde, chez les fidèles ou les infidèles. C'est pourquoi il nous a paru bon à tous, dans notre désir de conserver et d'accroître la Compagnie pour une plus grande gloire et un plus grand service de Dieu notre Seigneur, de prendre un autre chemin : nous devons admettre des jeunes gens qui, par la qualité de leur conduite et de leur esprit, donnnent l'espoir de devenir à la fois vertueux et savants pour travailler dans la vigne du Christ notre Seigneur.

Celui qui doit aller faire ses études dans un collège devra passer par trois expériences.

La Compagnie, ou l'un de ses membres qu'elle aura mandaté, doit converser avec le candidat pendant un mois environ, par des exercices ou communications spirituelles, pour connaître, en quelque manière, sa nature, sa constance, son caractère, son inclination et sa vocation.

Durant un autre mois, ce dernier doit servir les pauvres dans un hôpital en des offices peu relevés qui lui seront commandés, car en s'abaissant, il s'humilie et de même, en surmontant la honte, il se sépare du monde et se perd lui-même.

Durant un autre mois, il doit voyager à pied et sans argent, afin qu'il mette toute son espérance en son Créateur et Seigneur, et s'habitue en quelque sorte à mal dormir et à mal manger. Car celui qui ne sait pas demeurer ou marcher un jour sans manger et mal dormir ne semble pas pouvoir persévérer dans la Compagnie.

La différence qui existe, parmi ceux qui doivent entrer dans notre Compagnie, entre celui dont l'instruction est suffisante et qui n'a plus à étudier, et celui dont l'instruction n'est pas suffisante et qui doit faire des études, est la suivante. Le premier doit faire, durant trois mois, les trois expériences susdites et, après avoir prononcé le voeu de pauvreté et de chasteté, doit commencer l'année de probation. Pendant cette période, s'il est satisfait et que la Compagnie le soit aussi, il y restera ; si l'une des parties n'était pas satisfaite, il n'y resterait pas.

Le second sera soumis, durant trois mois, aux mêmes trois expériences et fera son année de probation pendant sa première année d'étude. S'il se destine à la Compagnie et que celle-ci le veut, il dépendra de la Compagnie de le recevoir, ou de le soumettre à d'autres épreuves pour juger de sa valeur, de sa vie et de son comportement, durant une autre année, ses études étant achevées.

Ainsi, celui qui doit entrer dans la Compagnie, d'une manière ou d'une autre, doit passer, durant une année et trois mois, par des expériences et des épreuves. La raison qui nous a poussés à faire des expériences plus importantes et à prendre plus de temps qui n'ont l'habitude de le faire les autres congrégations, c'est que, si quelqu'un entre dans un monastère bien ordonné et bien ordonné, il sera davantage tenu à l'écart des occasions de pêché grâce à une clôture, une tranquillité et une ordonnance plus grandes que celles qui existe dans notre Compagnie. Celle-ci n'a pas cette clôture, cette tranquillité  ni ce repos, mais elle va d'un lieu à un autre. De même pour qui a de mauvaises habitudes et ne possède aucune perfection, il suffit de se perfectionner dans un monastère ainsi ordonné et organisé. Mais, dans notre Compagnie, il faut que l'on soit d'abord bien expérimenté et longuement éprouvé avant d'être admis. Car, dans la suite, allant d'un lieu à un autre, on doit se lier à des femmes et à des hommes bons, à des femmes et à des hommes mauvais. Pour ces contacts sont requis de plus grandes forces, de plus grandes expériences, de plus grandes grâces et de plus grands bienfaits de notre Créateur et Seigneur.

 

1. Fundacion de collegio, Const., 1, p. 48-60