Patrick Goujon, historien de la spiritualité au XVIIsiècle et spécialiste de la spiritualité ignatienne, propose ici une démarche originale en éclairant notre compréhension des Exercices spirituels par la lecture de la correspondance d'Ignace. Il donne ainsi à découvrir, de façon concrète et vivante, la manière dont Ignace lui-même pratiquait ce qu'il a formalisé et synthétisé dans les Exercices. Dans cet ouvrage, l'auteur part de la question suivante : comment Ignace parvient-il à concilier l'usage de la liberté qui est le don que Dieu fait aux hommes avec la formulation de nombreuses règles tant de discernement que de vie ? En rappelant que la spiritualité ignatienne se fonde dans une conception de la relation entre Dieu et les hommes où Dieu veut l'entière et pleine coopération de la créature dans l'usage de sa liberté, ce livre révèle le ressort de l'articulation entre règle et liberté : la consolation, comprise comme aide de Dieu lui-même. La consolation n'est pas un affect confortable offert à notre satisfaction, mais un don de joie et de paix reçu de l'Esprit et une dynamique menant vers Dieu. La consolation est déjà présente dans les Exercices, c'est le point d'ancrage de la pédagogie d'Ignace. Par l'analyse de quelques lettres d'Ignace, il nous est donné d'observer comment ce dernier procède pour amener ses interlocuteurs à entrer dans une interaction personnelle avec le Seigneur afin de conduire eux-mêmes leur existence par le repérage du mouvement de la consolation. Voici un ouvrage qui présente un double intérêt : du point de vue de la thèse développée mais aussi de celui de la méthode employée. Il s'agit en effet de lire et de donner à lire, afin de faire vibrer à la justesse d'une direction spirituelle bien accordée, comme un instrument de musique peut l'être. Il s'agit aussi de montrer une « façon de faire », en plus de livrer un contenu de pensée. Ignace a autant à nous apprendre par ce qu'il dit que par la façon dont il le dit. Un choix limité de six lettres significatives et une lecture attentive nous livrent des trésors à côté desquels notre rythme et notre filtre de lecture habituels nous font aisément passer : nous partons bien souvent en quête du fond et accordons plus rarement notre attention à la forme. Ici, Patrick Goujon prend le temps, il glane les informations cachées, noue des liens entre divers lieux du texte, lève les paradoxes, se rend attentif au moindre indice… Ainsi, grâce à ce travail d'analyse dont nous est livré le fruit savoureux, les lettres se présentent comme des sources d'où jaillit une eau sans cesse renouvelée, car l'acte de lire en déploie la fécondité inépuisable. Par ailleurs, cette lecture montre comment, pour Ignace, écrire, c'est agir aussi. Si l'un des objectifs de Patrick Goujon, en écrivant sur la correspondance d'Ignace de Loyola, est de susciter le désir de lire ces lettres, le pari est gagné ! Grâce à ses commentaires, on entre dans la chair vivante. On touche à la force spirituelle d'un esprit fondé dans le désir de laisser Dieu agir directement avec l'âme qui le cherche. C'est précisément ce à quoi devrait œuvrer tout accompagnateur par une présence tant discrète que réelle.