Préf. P. Legavre. Bayard, coll. « Christus », 2008, 159 p., 19,80 euros.

L’exigence d’une parole sur le soin est parfois semblable à celle du discours de l’amour : les mots qui le disent doivent aussi le donner, mieux encore, révéler notre propre capacité à y prendre part.
Avec beaucoup de finesse et de justesse, Claire-Anne Baudin répond à cette exigence en traduisant sa riche expérience en une pédagogie d’éveil aux formes multiples du soin. Silencieuse sur sa propre vie, elle sait choisir des phrases mûries comme des aphorismes et frappées comme des proverbes, qui condensent les joies amoureuses de l’épouse, les émerveillements et les épreuves de la parturiente et de la mère, les gestes attentionnés de la soignante en hôpital, les inspirations et les patiences de l’institutrice, l’écoute avivée de l’accompagnatrice spirituelle, le souci de réflexion de la théologienne. Cette heureuse et rare convergence d’expériences nourrit une démarche originale.
Élargissant le domaine habituellement réservé au soin, Claire-Anne Baudin honore sa belle ambition d’éveiller à une manière d’être qui informe toute l’existence. À l’exemple de Simone Weil qui en faisait la clé de la prière, elle établit l’attention comme le fil directeur du soin : « Nous verrons de bien des manières que prendre soin, c’est faire attention. » Seul l’engagement de l’attention peut déployer la densité d’un événement et trouver ce qui convient à autrui. Prendre soin de soi et d’autrui, et laisser un autre prendre soin de soi, est alors présenté comme un chemin de contemplation et de discernement.
Ce chemin d’affinement de la présence, des sens, du geste et de la parole est judicieusement tracé par une quarantaine de situations impersonnelles proposées au travail de l’imagination par une description sobre et au travail de l’interprétation par un commentaire concis (suggérer un exercice, ce n’est pas donner un exemple ni un témoignage ni une analyse). La nature et les moyens du soin s’éclairent progressivement dans l’entrelacement de ces fragments de vie et de discours qui parfois s’appellent l’un l’autre comme s’ils prenaient également soin l’un de l’autre. L’identification initiale du soin et de l’attention s’enrichit alors de multiples significations et attitudes que le concept peinerait à rassembler. Auprès de la parturiente, le soin devient ce qui, à tout âge, accompagne toute naissance et tout don de vie : « Donner la vie n’est pas une métaphore, mais la réalité du soin » ; auprès du malade, le soin débute par la présence : « [Le soin] n’est pas d’abord de guérir et de libérer : il est de visiter » ; auprès de la petite fille qui interroge sa mère sur la mort, le soin se fait invitation, à la découverte de la force de l’amour mutuel et souci des représentations de l’autre ; auprès de la multitude, qui réclame notre attention, le soin exige de devenir une décision de soin ; dans la rencontre des libertés, le soin échappe au catalogue des solutions préparées : « Le soin est ce qui convient, et ce en quoi consiste cette convenance n’est indiqué nulle part…»
Les chapitres se déploient depuis l’engagement inaugural en quête de la forme adaptée du soin (« Je voudrais que tu vives », « Que dois-je faire pour lui ? ») jusqu’à la métaphore du soin du jardin où se rassemblent les figures de l’amour (le Cantique des Cantiques), de la souffrance et de la mort (Gethsémani) et de la vie redonnée (Pâques), en passant par des chapitres qui explorent, comme des sentiers qui s’entrecroisent, non seulement l’épreuve mais aussi le bonheur, l’humour et l’inventivité du soin : « Les larmes et tout ce qui désarme », « Nous sommes de fiers mammifères », « La culture des tomates pendant l’allaitement ».
 La justesse de cette invitation à un style de vie configuré par le soin transparaît dans l’extension progressive recherchée (le bien-aimé, l’enfant, l’ami, l’inconnu), dans la conjonction de l’approche courageuse de l’abîme de la souffrance et de l’accompagnement joyeux des forces de croissance. Les enracinements spirituels et les convictions théologiques de Claire-Anne Baudin sont tenus dans une discrétion qui contribue à leur rayonnement – heureuse convenance de l’intelligence, de la délicatesse et de la grâce du soin…