Professeur de sociologie musulmane au Collège de France de 1926 à 1954, prêtre de l’Église melkite (ordonné au Caire en 1950), Louis Massignon a été le principal introducteur de la culture musulmane en Europe dans la première moitié du XX e siècle. Nous donnons ici des extraits d’une conférence qu’il avait donnée lors des Semaines des intellectuels catholiques de 1949, sous le titre : « La foi aux dimensions du monde ». Publiée dans le collectif Foi en Jésus Christ et monde d’aujourd’hui (dir. cardinal Suhard, Éditions de Flore, 1949, pp. 192-196), cette conférence a été reprise dans le n° 16 (juin 2004) du Bulletin de l’Association des Amis de Louis Massignon (127, rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris). Nous remercions Madame Nicole Massignon de nous avoir autorisé à en reproduire les extraits suivants.
Je voudrais, avec vous, faire d’autres étapes, les étapes du pèlerin. Notre Foi est essentiellement vivante et la vie est la qualité du pèlerin qui marche. Vers quoi va ce pèlerin ? Il va vers un Lieu Saint, préfigure de la Béatitude, il s’exile de lui-même — c’est le sens de la Foi : on s’exile de ses douceurs quotidiennes, de ses facilités ordinaires, pour trouver, encore une fois, une patrie qui n’est pas du tout la négation de la patrie originelle, mais qui est transcendante comme le ciel par rapport à cette terre natale si chère. Néanmoins, nous sommes en route entre ces deux points : le point d’où nous partons et la patrie transcendante de l’arrivée — et la Foi est notre viatique. (...)
Ces pèlerins marchent, ils vont vers un lieu, ils n’en connaissent qu’un depuis douze siècles et, comme la direction de leur prière, c’est La Mecque. 400 millions de priants convergent vers ce lieu, unis par la Foi qui leur fait « survoler » la distance, comme disait Sophocle de l’amour (hyperpontios). Ils se reconnaissent parce qu’ils ont un seul axe, un axe de transcendance, qui est rivé sur le monde, cloué au lieu du sacrifice abrahamique. (...)
Cet axe que trouve le musulman, je voudrais que vous le considériez comme un symbole. Je vous citerai le cas du musulman qui partait en pèlerinage de Bagdad à La Mecque. Après avoir pas mal réfléchi, il savait qu’il y avait vingt jours à faire à travers le désert et qu’il était recommandé, dans les traités de droit canon et par toute la prudence des théologiens, de se munir d’une monture et d’une provision. Lui, ne prenait pas de monture, il ne prenait pas non plus de provision. Ses amis lui disaient que c’était dangereux et qu’il n’est pas permis de se suicider. À quoi il répondait, confiant d’ailleurs dans la volonté divine qui ne le laisserait pas en route sans secours inattendu ou miraculeux : « Si je meurs, le prix du sang incombe au Meurtrier. » En d’autres termes, c’est Dieu qui se livrera, en rançon au pèlerin mort, et lui montrera Son visage, qui nous fait souffrir comme il nous fait jouir et qui nous fait mourir, et qui nous fait ressusciter...
Je voudrais, avec vous, faire d’autres étapes, les étapes du pèlerin. Notre Foi est essentiellement vivante et la vie est la qualité du pèlerin qui marche. Vers quoi va ce pèlerin ? Il va vers un Lieu Saint, préfigure de la Béatitude, il s’exile de lui-même — c’est le sens de la Foi : on s’exile de ses douceurs quotidiennes, de ses facilités ordinaires, pour trouver, encore une fois, une patrie qui n’est pas du tout la négation de la patrie originelle, mais qui est transcendante comme le ciel par rapport à cette terre natale si chère. Néanmoins, nous sommes en route entre ces deux points : le point d’où nous partons et la patrie transcendante de l’arrivée — et la Foi est notre viatique. (...)
Ces pèlerins marchent, ils vont vers un lieu, ils n’en connaissent qu’un depuis douze siècles et, comme la direction de leur prière, c’est La Mecque. 400 millions de priants convergent vers ce lieu, unis par la Foi qui leur fait « survoler » la distance, comme disait Sophocle de l’amour (hyperpontios). Ils se reconnaissent parce qu’ils ont un seul axe, un axe de transcendance, qui est rivé sur le monde, cloué au lieu du sacrifice abrahamique. (...)
Cet axe que trouve le musulman, je voudrais que vous le considériez comme un symbole. Je vous citerai le cas du musulman qui partait en pèlerinage de Bagdad à La Mecque. Après avoir pas mal réfléchi, il savait qu’il y avait vingt jours à faire à travers le désert et qu’il était recommandé, dans les traités de droit canon et par toute la prudence des théologiens, de se munir d’une monture et d’une provision. Lui, ne prenait pas de monture, il ne prenait pas non plus de provision. Ses amis lui disaient que c’était dangereux et qu’il n’est pas permis de se suicider. À quoi il répondait, confiant d’ailleurs dans la volonté divine qui ne le laisserait pas en route sans secours inattendu ou miraculeux : « Si je meurs, le prix du sang incombe au Meurtrier. » En d’autres termes, c’est Dieu qui se livrera, en rançon au pèlerin mort, et lui montrera Son visage, qui nous fait souffrir comme il nous fait jouir et qui nous fait mourir, et qui nous fait ressusciter...
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