Mais, d'exceptionnelle et temporaire, l'urgence semble se faire peu à peu ordinaire et permanente, et devenir une manière de considérer le présent. Peut-on vivre « au présent » et exercer quelque responsabilité sans que l'existence quotidienne ne soit placée sous l'emprise de l'urgence ? Rien ne semble plus pouvoir s'accommoder de délais : l'agenda n'est plus un repère, il dicte sa loi. Les moyens de communication modernes poussent à répondre sans différer ; la force des images et leur effet de dramatisation appellent des réactions quasi immédiates. « Agir dans l'urgence » signifie alors vivre intensément le présent avec la conscience aiguë que la vie est fragile et que le temps nous est compté...
Après avoir examiné comment l'urgence relève habituellement d'une situation extrême, nous envisagerons ce que signifie et implique sa banalisation dans nos sociétés.
L'urgence, une situation extrême
De manière habituelle, l'urgence est considérée comme une situation extrême. Elle s'impose en des circonstances jugées exceptionnelles : on est alors aux prises avec l'incertitude sur ce que peut être la bonne décision ; on éprouve l'angoisse et la solitude d'avoir à décider ; on sait que l'action doit avoir une efficacité à la mesure des menaces et des périls affrontés. Il faut décider et agir en un minimum de temps. L'urgence dispense par conséquent de ce qui serait normalement requis et demanderait une durée. On est sommé d'agir immédiatement et concrètement, car, dans l'urgence, la réussite d'une action dépend en grande partie de la rapidité de sa mise en oeuvre. Comme le temps presse, on ne peut et on ne doit pas attendre : raccourcir les délais pour parer au plus pressé, savoir et oser décider sans attendre ni tergiverser relèvent d'une exigence proprement éthique.
Et pourtant, ce qui doit se décider dans l'urgence est souvent ce qui, normalement, nécessiterait le plus de temps pour peser les choses et choisir ce qui est le mieux. Certes, nous interpelle toujours le propos de Talleyrand : « Quand il est urgent, il est déjà trop tard. » Mais l'urgence ne consiste-t-elle pas précisément à refuser qu'il soit vraiment trop tard avant que tout n'ait été tenté ? Parce que l'urgence exprime le refus de la résignation, elle est le temps du souci de l'autre : ne pas rester inactif ou sans voix face à la souffrance et au m...
La lecture de cet article est réservée aux abonnés.