Trois significations sont attribuées à l’adjectif « salutaire » selon les sources du CNRTL1. La première?: qui aide à conserver ou à rétablir un bon état physique ou moral?; qui est nécessaire pour garder un bon équilibre. L’un des emplois littéraires cités m’enchante?: « Elle faisait toujours garder pour moi une bouteille de ce célèbre vin de Bordeaux, si salutaire à mon estomac. » (Taine, Notes sur Paris, 1867, p. 341). Le deuxième sens?: qui est bénéfique, profitable, utile à la conduite, au comportement de quelqu’un ou à l’évolution de quelque chose. Et le troisième?: qui est propre à assurer le bonheur éternel, le salut de l’âme. Le dictionnaire Le Littré, à propos de cette dernière définition, cite le début du psaume 24, extrait des Psaumes du bréviaire romain traduits par « le Grand Corneille », dramaturge et poète?: « Élevons avec joie et nos cœurs et nos voix / Au vrai Dieu, notre Salutaire. » Cette triple définition ne m’apparaît pas comme progressant de la plus triviale à la plus haute, mais j’y reconnais en filigrane la relation créatrice et salvatrice qui unit le Très-Haut avec l’humanité. « Qui offre le sacrifice d’action de grâce, celui-là me rend gloire?: sur le chemin qu’il aura pris, je lui ferai voir le salut de Dieu », chante de nos jours le psaume 50 (49), 23, dans la traduction liturgique. Reconnu ou non, « Notre Salutaire » nous accompagne donc sur les chemins de l’hilarité que nous prenons, ou, bien plus souvent, qui nous prennent heureusement au dépourvu.

Le rire pédagogue

À trois ans, je fus sauvée d’une gifle maternelle grâce au rire de mon père. Ma mère revenait ce matin-là du poulailler, portant avec précaution trois œufs de poules. Elle entra dans la cuisine en répétant avec jubilation?: « Ah?! Les beaux œufs?! Ah?! Les beaux œufs?! » Cette ostension émerveillée aurait pu sembler démesurée, mais s’expliquait par le fait que ces œufs étaient les premiers pondus par les jeunes poules installées depuis peu dans un poulailler restauré par mon père au retour de sa captivité en Allemagne à la fin de la récente guerre de 1939-1945 et qu’ils cautérisaient, de surcroît, le souvenir encore vivace des restrictions alimentaires vécues par ma mère au cours de la même période. Voulant nous faire partager son enthousiasme, elle les montra rapidement à mon père, puis se pencha à ma hauteur pour me les faire admirer. Ai-je succombé à la tentation de faire une farce ou bien ai-je cru répondre à une proposition de jeu?? Plus de soixante-cinq après, je me pose encore la question. De mes propres mains, je soulevai vivement celles de ma mère et les œufs s’écrasèrent...


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