On penserait à Marie de la Trinité, la dominicaine, mais en plus tempéré et en plus suave (en plus modeste aussi). Lilian Staveley (1878-1928), femme cultivée qui vient de la meilleure société britannique (Bergson est de ses lectures) ne renonce nullement aux obligations ni aux charmes de la vie mondaine. Elle n’en déploie pas moins une expérience spirituelle de haut vol, qu’épargne heureusement la tentation de l’anarchisme illuministe. À défaut d’accompagnateur fiable (elle avait vite évalué ce qu’elle pouvait attendre du monde clérical, si bien intentionné soitil), elle trouvera en Angèle de Foligno et en Richard Rolle (le mystique anglais du XIVe siècle, qui influença Julienne de Norwich) les références qui lui permettront de déchiffrer un parcours singulier où elle avance sous la gouverne d’un Dieu attentionné et pédagogue. Condescendance initiale de ce Dieu qui la mènera à une union intime de tout instant, sans hallucination aucune, que traduit au mieux la métaphore de la vie conjugale (en laquelle, par ailleurs, ellemême fut merveilleusement heureuse). C’est une mystique de l’énergie que nous propose Lilian Staveley, énergie non pas cumulative, mais immédiatement plénière, et qui se donne dans la modulation de la joie. Mystique d’incarnation, qui rééquilibre avantageusement son inclination platonicienne spontanée (fascination du Beau !) et son exquise propension à l’idéalisation – ce qui rend un peu délicat le rapport entre le Christ (tout d’humanité libérale en son rôle majeur, mais pas central, de Médiateur) et la Divinité, dispensatrice attractive de généreuse lumière. Ces difficultés spéculatives sont aisément corrigées par son pragmatisme britannique qui réinterprète à sa façon les catégories de la théologie spirituelle et nous dispense d’utiles conseils d’un louable empirisme. Jouissance de l’union, désir de Dieu : ce quasi « mode-d’emploi-de-la-vie-mystique » n’ignore rien de leur ajustement difficile et problématique réalisation, mais traversé d’un appétit de bonheur, un hédonisme tel que l’abbé Bremond ne l’aurait pas désavoué, tant il est confessé avec une grâce et une élégance so british !
François Marxer