Le respect
dans le Journal spirituel d'Ignace
(extraits)


« Vendredi [14 mars]. — Avant, pendant et après la messe, beaucoup de larmes se terminant tantôt au Père tantôt au Fils, tantôt, etc., et de même aux saints, mais sans aucune vision, si ce n'est que la dévotion se terminait par moments tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Pendant tout ce temps, avant, pendant et après la messe, il y avait en moi une pensée qui me pénétrait au profond de l'âme : avec quelle révérence et quel respect, allant à la messe, je devrais nommer Dieu notre Seigneur, etc., et ne pas chercher les larmes, mais ce respect et cette révérence. »

« Dimanche [30 mars]. — (...) Pendant ce temps, il me semblait que l'humilité, la révérence et le respect ne devaient pas être craintifs, mais amoureux. Et cela s'affermissait tellement dans mon âme, que je ne pouvais que répéter : "Donne-moi l'humilité amoureuse, et fais de même pour la révérence et le respect", recevant dans ces paroles de nouvelles visites. De même refusé les larmes, pour être attentif à cette humilité amoureuse, etc.
Ensuite, dans la journée, grande joie à me souvenir de cela. Il me semblait que je ne m'arrêtais pas là, mais que viendrait ensuite la même chose envers les créatures, c'est-à-dire l'humilité amoureuse, etc., sauf dans les cas où l'exigerait l'honneur de Dieu notre Seigneur, comme dans cet évangile où il est dit : Similis ero vobis mendax [Je serai, tout comme vous, un menteur", Jn 8,55]. »

« Vendredi [4 avril]. — Avant la messe, larmes. Pendant, grande abondance de larmes, avec beaucoup d'intelligences et de sentiments intérieurs (que j'éprouvais aussi avant la messe). Ne trouvant pas la révérence ou le respect amoureux, il faut chercher le respect craintif, en regardant ses propres fautes, pour parvenir à celui qui est amoureux. »

Ecrits, Desdée de Brouwer, coll. « Christus », 1991, pp. 358, 362-363.


On a pu dire que Thérèse d'Avila dévoilait l'expérience mystique tout en cachant l'ascèse qu'elle présuppose. A l'inverse, Ignace de Loyola cache l'expérience mystique derrière l'ascèse. Ses écrits les plus connus, les Exercices spirituels, les Constitutions et sa correspondance, sont d'une grande réserve. Ils ont d'abord une portée pédagogique et indiquent les moyens de faire une expérience ou de la réguler ; ils ne témoignent qu'indirectement de l'expérience elle-même, dans le souci de laisser chacun faire celle qui lui est propre.
Qui veut bien lire les Exercices ou les Constitutions pour ce qu'ils sont — des moyens et des consignes pour permettre au lecteur de s'engager lui-même dans une mise en pratique — constate qu'ils perdent aussitôt leur apparente sécheresse. Le livret des Exercices se présente extérieurement comme une série progressive de recettes. Si vous vous contentez de lire un livre de cuisine, vous n'éprouvez aucun goût. Placez-le de manière à ce que vos mains soient libres et mettez en oeuvre sur le feu les recettes que vous lisez : le goût intervient aussitôt, l'odeur des ingrédients, celle, bonne ou mauvaise, qui se dégage de la cuisson, trop sucré, salé, brûlé ou, au contraire, excellent. L'attention à bien faire est autant une attention à ce qu'on ressent.


Le Journal spirituel


Ainsi en est-il de l'oeuvre d'Ignace. Il nous a pourtant laissé deux témoignages plus directs de ce qu'il éprouvait lui-même dans l'intimité : le Récit et le Journal spirituel. Le récit qu'il fit de sa vie, connu sous le nom de Récit du pèlerin, nous livre quelque chose de l'engagement affectif qu'Ignace vécut tout au long de l'itinéraire qui le conduisit de son lit de convalescent à Loyola à la fondation de la Compagnie de Jésus à Rome, et plus particulièrement lors de sa longue retraite à Manrèse, matrice originaire des Exercices spirituels. Mais le Récit est écrit pour l'instruction de ses compagnons et de ses disciples.
L'expérience est décrite pour l'essentiel. La perspective de ces témoignages reste celle d'un d'éducateur et d'un fondateur. Leur discrétion vise à permettre à chacun de faire à son tour l'expérience dans la liberté selon la situation et l'affectivité propre. Mais ce travail soigneusement contrôlé du rédacteur de ces textes est vécu sans cesse en liaison, et même, pourrait-on dire, au sein d'une constante relation d'union à Dieu qui le meut dans tout son être, mental, corporel et affectif. A la fin de son Récit, Ignace le précise à propos de la rédaction des Constitutions, en avouant qu'il tient un journal intime de ce qu'il vit dans sa prière 1.
Quelques pages de ce journal ont été conservées (ce n'est pas un hasard), échappant à la destruction 2. Elles nous révèlent quelque chose de la dimension la plus intime de ce qu'Ignace vivait dans sa relation à Dieu. En direct, pourrait-on dire. Le manuscrit plein de ratures et de rectifications laisse deviner que l'écrivain est encore pris dans l'expérience elle-même quand il prend note de ce qu'il vit pendant sa prière pour s'en souvenir et, plus encore, aller jusqu'au bout dans l'accueil de ce qu'il reçoit. Cette rédaction est encore sous la mouvance de l'expérience d'une vie d'oraison qui ne cesse pas lors des occupations de la vie quotidienne.
Ignace, à qui ses compagnons ont légué le soin de continuer le travail de rédaction des Constitutions au fur et à mesure qu'ils étaient dispersés par les missions reçues du pape, s'interroge sur un point précis concernant la pauvreté des églises de la Compagnie. Il met en oeuvre les procédures que les Exercices prévoient pour faire élection et parvient à une certitude intérieure profonde : oui à la pauvreté totale, même pour les églises et leurs sacristies. Il offre alors cette décision à Dieu en demandant confirmation, comme le prévoient les mêmes Exercices. Il vit alors pendant un mois et demi une expérience d'une consolation divine intense et bouleversante, marquée simultanément par la croissance d'un respect qui est aussi obéissance. Il en note jour après jour et avec soin les étapes.
Ignace est mû par un double mouvement que l'on peut, en le simplifiant outrageusement, présenter ainsi : un chemin de montée par les créatures le conduit jusqu'au plus profond de l'unité du mystère trinitaire. Il se retourne à partir de cette extrême pointe de l'intimité divine en une sorte de descente incluant les créatures. Corrélativement, une transformation se fait jour dans la manière de se situer par rapport à ce qu'il ressent. Ignace est invité à se rendre désormais attentif davantage au Donateur qu'au don, ce don fût-il la jouissance d'un immense amour pour Dieu et de Dieu. Intervient alors un terme spécifique : l'obéissance d'un respect amoureux. « Un sentir d'un rapport de respect plus proche de l'amour révérenciel que de toute autre chose » (n° 83) 3. « Respect » traduit ici l'espagnol « acatamiento » qui signifie à la fois « obéissance » et « respect ». Il faudrait pouvoir traduire ce mot par « obéissance respectueuse » ou « respect obéissant ».
Cette descente à partir de l'aperception de l'Etre originaire en Dieu et l'appel au respect obéissant sont liés. Nous développerons davantage le second.


Un double mouvement


La prière d'Ignace est essentiellement de l'ordre de la parole intime : le colloque, un entretien avec Dieu qui lui parle et à qui il parle. Il commence par s'adresser au Père en passant par ce qu'il appelle les médiateurs : Notre Dame et le Christ. Il éprouve alors une consolation intensément ressentie, qui se traduit par un sentiment d'amour lié à des représentations mentales fortes correspondant à des affects corporels, des mouvements qu'il décrit sommairement mais clairement : plaisir et jouissance intense, larmes abondantes, surtout de joie. Il note, par exemple, que, voyant intérieurement une représentation du Père, il est si fortement secoué que « ses cheveux se dressent sur la tête»(n° 8).
Un chemin se fait qui le conduit des médiateurs aux personnes divines, faisant progressivement l'expérience qu'elles sont dans une relation de présence réciproque, l'une conduisant aux autres, ce que la théologie traditionnelle appelle la circumincession des personnes divines. Il est ensuite conduit au-delà des personnes à l'Etre même de Dieu en qui vivent et de qui découlent les personnes 4. A partir de ce sommet, la perspective s'inverse. De cet « Un » suprême, Ignace est conduit à passer en sens inverse par les personnes qui le reconduisent aux médiateurs : le Christ-homme et la Vierge et jusqu'aux anges et aux saints, et de là, nous allons le voir, à toutes les réalités existantes. S'affermit alors cette expérience qu'Ignace éprouve d'un mouvement qui ne remonte plus seulement des créatures au Créateur, mais qui va d'abord et surtout du Créateur à la créature, du Donateur au don. C'est, semble-t-il, une certaine conscience de l'expérience éprouvée de ce renversement, de cette conversion, qui est caractéristique de la dimension proprement mystique d'une expérience Elle n'est pas seulement crue et plus ou moins vécue, elle est éprouvée.


Le respect amoureux et l'obéissance respectueuse


Précédant de peu (six jours) le moment du sommet de ce renversement apparaît une notation nouvelle du mot acatamiento 5. Il est utilisé pour préciser ce qu'Ignace éprouve en réaction à l'intensité de l'expérience. Il entre ensuite en un temps de crise : disparition de la consolation, forme de désolation, mouvements de colère. Il prend progressivement conscience qu'il confondait son désir de confirmation avec celui de recevoir des signes consolants, et s'aperçoit (c'est ici qu'intervient le respect obéissant) que la confirmation lui est donnée non par le signe attendu de la consolation ou des visions spirituelles qui lui correspondent, mais, au contraire en renonçant à la trouver dans les signes. Cessent alors les larmes et le plaisir qu'elles lui procurent, en même temps qu'il reconnaît qu'elles lui abîment les yeux.
Qu'est donc ce respect obéissant, l'acatamiento ? Le mot n'apparaît dans l'oeuvre d'Ignace (en dehors du Journal) que cinq fois, dont trois dans un passage des Exercices spirituels (n° 39), à propos du serment sur les créatures qui engage le chrétien vraiment parfait autant que le serment sur le Créateur, parce qu'il éprouve que Dieu est présent par son essence même à toutes choses. Par contre, acatamiento scande le Journal (trente-trois fois) à partir de cette première mention.
En espagnol moderne, le mot signifie plutôt une obéissance qui consiste à mettre en oeuvre ce qui est demandé. Il peut avoir une portée juridique — l'obéissance à la loi demande sa mise en pratique — mais aussi affective. Dans la mesure où j'écoute vraiment celui que j'aime, je m'appliquerai à mettre en oeuvre ce qu'il me demande. Je peux choisir le cadeau que je veux faire pour dire mon affection. C'est en fonction de moi, de ce que j'éprouve ou estime, que je choisis. L'amour sera plus grand si je lui donne ce qu'il me demande explicitement ou implicitement, quel que soit mon sentiment à ce sujet. Je suis alors à l'écoute, non pas de moi-même, mais de ce qu'il dit et de ce qu'il est. Ainsi, dans le rapport amoureux, le respect, le juste rapport est une obéissance mue par l'amour effectif qui s'exprime dans des comportements concrets.
L'obéissance respectueuse a pour ressort l'amour comme accueil de l'autre au-delà de toute recherche de soi. Elle est aussi proche de l'hommage, de la révérence. Je me reconnais comme l'homme de Celui à qui je me donne tout entier par amour pour le servir. L'acatamiento est proche du serment de fidélité, hommage qui est aussi une offrande, celle du chevalier généreux à son suzerain. Trois sur cinq des emplois du mot en dehors du Journal concernent le serment. La première offrande, la veillée d'armes que fit Ignace arrivant à Montserrat, s'inspirait nettement du rituel de l'initiation à la chevalerie. Ignace reconnaît que la confirmation recherchée lui est donnée dans le fait de renoncer à la recevoir par l'intermédiaire de signes consolants, recherche encore subtile de son plaisir à lui plutôt qu'offrande entièrement orientée par la recherche du plaisir de Dieu. Les pages concernant cette partie de l'expérience se terminent par la résolution de ne plus chercher qu'à se laisser conduire au « Donneur de Grâce » (n° 153), à être attentif à reconnaître en toute chose Celui qui donne de percevoir sa présence de Donateur. Les larmes consolatrices reviennent dès lors qu'il ne les cherche plus, fût-ce inconsciemment. La remontée des créatures — en passant par les médiateurs vers la pluralité des personnes jusqu'à leur inhabitation mutuelle dans l'unique « Etre » divin, puis la descente de cet « Un » par les personnes trinitaires jusqu'aux médiateurs, s'élargissant en direction de la simplicité des choses ordinaires — est un mouvement étroitement lié à une prise de conscience Ignace découvre qu'il était inconsciemment tellement mobilisé par la forme de plaisir attaché aux signes qu'il attendait (et qu'en fait il avait eus) qu'il ne pouvait en obtenir l'effet d'apaisement escompté. Il réalise alors qu'en cela il prêtait plus attention au don qu'au Donateur. Désormais, décide-t-il, il sera plus attentif au Donateur qu'au don, au plaisir de Dieu qu'à son propre plaisir. Il entre dans le pur amour.
Intervient le mot « servir » comme une forme du respect amoureux. Son repère sera le plaisir de Dieu qui se manifeste dans la mise au second plan de son propre plaisir. Désormais plus attentif à Dieu lui-même qu'à son propre besoin de se sentir confirmé dans son choix, Ignace peut admettre que la certitude acquise par sa première élection est bien tout entière pour le plaisir de Dieu et que c'est en cela qu'elle est confirmée.
Les larmes interrompues étaient devenues un obstacle à la reconnaissance de la priorité du Donateur par l'attention inconsciemment portée à leur présence Elles peuvent maintenant revenir. Le plaisir éprouvé est alors second, surcroît de l'attention au Donateur se donnant lui-même en toutes choses : non plus le plaisir de se savoir confirmé comme serviteur par les larmes, mais les larmes de plaisir de savoir Dieu préféré en le servant. Dès lors, les notations portées dans les pages suivantes du Journal se terminent le plus souvent sur cette notation du respect. Servir effectivement, obéir fidèlement devient la première motivation affective, et non plus le sentir. Le sentiment peut alors survenir libéré de toute recherche de soi, en surplus, en second, pur don, pur amour.
La conversion caractéristique de l'expérience mystique chrétienne proprement dite est un renversement de perspective. Un mouvement remonte d'abord des choses et des personnes jusqu'à Dieu au-delà de l'image, pour le reconnaître expérimentalement comme un fait (Il est), source de tout être. Ce mouvement se transforme alors : ce fait même (« Il est ») se découvre comme le fondement de tout être aussi bien subjectif qu'objectif. L'être des réalités aussi bien extérieures qu'intérieures, aussi bien spirituelles que matérielles, est perçu comme descendant de ce Dieu-Etre, source de tout être, présent à tous les êtres, quelle qu'en soit la nature. Le respect obéissant s'impose alors dans la conscience que le principe de réalité est au fondement même du principe de plaisir si l'on veut que soit premier le plaisir de Dieu et que tout plaisir soit reçu du Donneur de grâces. Toute réalité est issue d'un Dieu qui reste présent à cette réalité en se donnant dans l'acte créateur même qui lui donne d'exister. Le service, à la fois principe de réalité et lieu de plaisir, peut alors être vécu en vérité parce que vraiment reçu, purifié de toute recherche qui fabrique plus ou moins sa propre jouissance.


Le respect et l'amour dans le service


L'expérience vécue par Ignace sous un mode extrême nous renvoie finalement à risquer un changement d'attitude dans la simplicité de la vie humaine la plus ordinaire. Les trois formes de la consolation décrites dans les Exercices spirituels correspondent à cette évolution (n° 316). Leur formulation éclaire la manière dont nous pouvons relire notre expérience.
Il y a d'abord le sentiment d'aimer dans toute sa force, au-delà de ce que l'homme peut supporter et que pourtant il s'approprie plus ou moins. Fût-ce inconsciemment, le plaisir éprouvé prend la première place, et non le Donateur. Le don d'aimer ne peut donc pas être vraiment accueilli. La main se referme en quelque sorte sur le don. La cessation de la consolation qui en résulte est alors éprouvée comme un deuil, une douleur qui pourra entraîner le malheur de la désolation si elle n'est pas tournée vers le Donateur en s'exprimant dans le cri ou les larmes. L'expression de la douleur dans la prière tourne celui qui est dans l'épreuve vers le Donateur, à nouveau reconnu comme premier. Il n'est pas le Donateur de l'épreuve, mais le Donateur, dans l'épreuve, de la grâce de la traverser pour s'ouvrir à l'accueil du don. Il peut alors se révéler dans ce qu'il donne : pas seulement dans le sentiment d'aimer et la douleur de ne pas savoir aimer ou de ne plus se sentir aimé, mais dans les choses mêmes de la vie la plus ordinaire. Dans « tout accroissement d'espérance, de foi et de charité et toute allégresse intérieure » (troisième forme de la consolation), il est donné de pouvoir vivre simplement, de faire ce qui est à faire, quoi qu'il en soit de ce que l'on ressent. Dans la mesure où cette possibilité de vivre dans la fidélité au réel est reconnue comme venant du Donateur qui se donne dans ce don, une allégresse nouvelle peut alors naître, un nouveau sentir de l'amour libéré du besoin de sentir : obéissance respectueuse au Créateur, vécue dans le concret du don qu'il fait de vivre dans l'univers quotidien des choses qui nous relient à nos frères. Guidés par cette allégresse, concrètement robuste même si elle est bien souvent affectivement ténue, nous ne sommes plus encombrés par l'appétit d'éprouver, de nous sentir aimer, et nous pouvons nous rapporter à nos frères : nous ne pouvons leur donner quelque chose que parce qu'ils sont d'abord un don que Dieu leur fait de se donner à nous en étant là.


Devenir pleinement reconnaissants


C'est ainsi qu'au long de nos vies, pour peu que nous prenions les moyens de nous y rendre attentifs, le respect amoureux du service obéissant à Dieu se vit toujours davantage dans l'obéissance aux frères en qui Dieu se donne « selon sa propre essence, présence et puissance » (Ex. sp. n° 39).
La première phrase du « Principe et fondement » des Exercices spirituels disait : « L'homme est créé pour louer, faire révérence et servir Dieu notre Seigneur » (n° 23). La dernière demande de grâce, celle de la « Contemplation pour parvenir à l'amour » parle d'une « connaissance intérieure de tout le bien reçu, pour que moi, reconnaissant pleinement, je puisse en tout aimer et servir sa divine majesté » (n° 233). Le « faire révérence », première forme du respect, est devenu « aimer », moyennant le passage par l'obéissance sous l'étendard de la croix, vécu au long des quatre semaines. Davantage le terme « reconnaître » n'a pas simplement le sens d'« éprouver de la reconnaissance ». Il est toujours employé dans l'oeuvre d'Ignace pour signifier la reconnaissance de l'identité de quelqu'un. Le bien ainsi reçu est maintenant reconnu comme étant le Christ ressuscité présent à son Eglise qui est son corps, tout en tous.
Oser se laisser aller à reconnaître le Christ ressuscitant dans le don qu'il nous fait d'être présent à toutes choses, c'est vivre la simplicité des tâches les plus quotidiennes avec allégresse, ce qui ne veut pas dire avec facilité, mais libre du souci, même inconscient, de se sentir aimer les autres et de se sentir aimé par eux, libre d'aimer dans une coïncidence vraie avec l'acte créateur de Dieu qui se donne en toutes les réalités, d'abord dans le simple fait qu'elles sont. Le quatrième emploi du mot acatamiento dans les Exercices (n° 114) 6 concerne le petit serviteur dans la (Contemplation de la Nativité : il est tout content de se contenter de servir, de faire ce qui est à faire.
Dieu nous aime en nous donnant de l'aimer Lui seul et, indissolublement, nos frères. Dieu se donne dans les réalités les plus concrètes de nos relations aux personnes, à travers les choses, et aussi dans les sentiments que les unes et les autres nous inspirent. Là est le constant discernement à faire qui nous fait passer du sentiment, du plaisir de sentir, à la vraie rencontre entre personnes dans le respect des réalités. La justesse de ce discernement se manifeste par une allégresse qui n'est plus de l'ordre d'une intensité de plaisir, mais de la simplicité éprouvée de la réalité, de faire ce qui est à faire. Ainsi, la plénitude du sentiment amoureux devient le fait de servir celui que l'on aime en faisant ce qu'il demande, dans le renoncement à en jouir, dans la libération de toute recherche de plaisir, pour s'ouvrir à l'expérience d'un bonheur qui comble au-delà et autrement que la jouissance du sentiment encore tournée vers soi. Dans le pur amour, laissons Dieu être Dieu. Dans la mesure où nous le croyons en le vivant, nous commençons à l'expérimenter. A la racine de la complexité de la simplicité divine, en toutes choses, il y a le fait : Il EST.



1. Ecrits, Desdée de Brouwer, coll. « Christus », 1991, p 172.
2. là., pp 311-382
3. Les numéros entre parenthèses renvoient à numérotation marginale de droite des Ecrits, sauf s'il s'agit des Exercices spirituels qui ont leur propre numérotation
4. Première occurrence le 6 mars (n" 121).
5. 27 février (n° 83).
6. Un seul emploi dans les Constitutions (n" 424) concerne l'attitude envers le supérieur « qui tient la place du Christ ».