Après le retour du religieux, allons-nous vivre le retour du respect ? Le respect dans la rue comme sur la route, à l'école comme au parlement, respect du « vivre ensemble », du langage comme de la parole donnée... Ce serait une bonne nouvelle, car, au fond, c'est bien par là qu'il faut commencer, et recommencer toujours ! Notre époque y est peu sensible, marquée qu'elle est par un égalitarisme niveleur et une sécularisation qui, dans ses excès, pousse à l'expérimentation sans limites et à la transgression des normes les plus élémentaires. Le respect de la personne humaine lui-même, bien qu'il soit l'objet d'un consensus juridique, peine à trouver ses fondements. Quant au sens religieux devant la sainteté de Dieu, il est devenu comme étranger à beaucoup de nos contemporains.
L'enjeu est donc de l'ordre du retour au fondement, d'un acte de mémoire, selon le sens que lui donne l'Ecriture de renouvellement de la relation. Principe et Fondement, disait Ignace : « L'homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu Notre Seigneur... » Affirmation toute biblique, et que fait sienne celui qui s'ouvre au mystère de son origine et de sa destinée. Abraham au chêne de Mambré, Moïse au buisson, Isaïe dans le temple s'inclinent devant Celui qui se révèle à eux dans une attitude « religieuse », faite à la fois d'acceptation de leur condition de créature et d'obéissance cordiale. C'est pourquoi respect va avec humilité : reconnaissance d'une loi qui m'est donnée et qui me fonde, d'une Parole qui me précède et m'appelle, d'un Autre dont je me reçois jusque dans ma liberté ; et, pour les croyants, d'un engendrement permanent dans l'Esprit Saint.
Respect de Dieu, respect des autres et respect de soi-même se nourrissent d'une même acceptation de ses limites : consentir à sa condition d'être créé, d'être sexué, d'être mortel, et sortir ainsi de la confusion et du chaos. « Respecter », c'est, étymologiquement, garder la bonne distance, considérer avec recul, regarder avec retenue, admirer, se garder de mettre la main sur les choses et les personnes. C'est voir le visage du prochain comme une mise en demeure, un appel à la responsabilité, l'expression d'un mystère qui ne peut être profané. C'est vénérer le visage du Christ, véritable icône du Père, et son reflet en chaque visage humain, si défiguré soit-il. C'est aussi préserver la création et son fragile équilibre, en l'utilisant non comme une proie à dépecer, mais comme un don à cultiver.
Ainsi, le respect qui est au commencement demeure jusqu'au terme, tenant la main à la louange et au service, les unissant dans l'amour, là où le respect du plus petit ne fait qu'un avec le respect du plus grand.