J'aime lire, oui vraiment. L'enfance en fut l'initiation. Ce fut une période bénie où le monde se laissait découvrir page après page. Une période où le temps était peu compté, où chaque journée de lecture prenait goût d'éternité. En découvrant l'oraison, un lien se dessine entre ces moments de bonheur et la vie intérieure habitée par Dieu. Lire, prier, contempler, ne sont-ils pas de la même étoffe ? J'aime ces actes éminemment personnels qui colorent l'âme, qui cultivent et aident à constituer un jugement, mais plus encore édifient la personne tout entière. Et voici que les aléas de la vie conduisent à plonger dans l'action et les relations… à l'infini. Chaque moment de lecture, comme volé aux devoirs du quotidien, fait l'effet d'une bouffée d'oxygène.

Car à l'envers de nombreux événements et relations, les mots de l'écriture ne viennent pas à nous, ne nous bousculent, ni n'entrent comme par effraction. La lecture relève d'une approche volontaire. Elle requiert même parfois un combat pour lui ménager un temps et de l'espace. En conséquence, elle est cet instant désiré, aménagé, souvent attendu avec impatience… telle l'oraison ou la contemplation d'une œuvre d'art.

Me voici ce soir encore, ouvrant un livre fréquenté avec passion depuis une semaine. Le silence advient. Et j'entre dans l'écoute d'un autre qui pense, raconte, expose, s'expose. Je m'en approche comme on le fait pour une pièce d'art vivant, le théâtre, par exemple : celui qui publie ses écrits se met en jeu, en risque. Je perçois sa respiration, au point d'en être ému. Mais aussi je peine parfois à suivre les méandres de sa réflexion, à tenir les longueurs de son propos, à garder le fil au milieu de ses références culturelles. Émerge alors ma propre pensée, un jugement nouveau, l'appel à écrire à mon tour. S'ouvre une conversation.

La lecture me relie ainsi aux premières intuitions spirituelles de mon enfance, tel un repos mystique.