Cerf, coll. « Sciences humaines et religions », 2002, 241 p., 24 €.
 
Attention, chef-d’œuvre ! Dieu sait si l'on a commenté avec piété ce Manuscrit B dans lequel Thérèse condense la « petite doctrine » que lui réclame indiscrètement Marie du Sacré-cœur en septembre 1896 ! Or Claude Langlois, comme précédemment avec les Dernières Paroles (Salvator, 2000), nous apprend à lire le texte, scrutant sa matérialité si contraignante : les lignes serrées, les points de suspension interminables, les mots soulignés, pour en restituer le mouvement et l'interpréter comme une stupéfiante tentative poétique en vers libres, à l'heure même où cette nouvelle modalité d'écriture advient sous la plume de Rimbaud et de Claudel !
Claude Langlois ne s'arrête pas à cette magistrale découverte : en historien, il reconstitue l'intrigue de ces quelques jours où Thérèse, hésitante, finit par donner satisfaction à la requête de son aînée, non sans lester sa réponse d'un prudent mode d'emploi, ce qui n'empêchera pas de laisser sa destinataire déconcertée. Une analyse minutieuse permet ensuite de comprendre comment ce texte s'inscrit au cœur de l'épreuve nocturne, dont on aurait pu le croire déconnecté. Thérèse ne cache rien de la ronde échevelée des désirs extrêmes qui l'habitent et l'emportent jusqu'au naufrage : désir de l'impossible, impossible du désir, qu'elle énonce avec une sûreté, une autorité qui signe le grand retour de la mystique dans le catholicisme contemporain.
Il resterait, après cette révélation du texte thérésien, à en élaborer la théologie qu'on peut d'avance prédire en rupture avec l'ordinaire vulgate de la dévotion : Thérèse est une âme forte !