Nous passons aisément de l’amour à la haine, et notre ambivalence à l’égard d’autrui nous semble parfois inextricable ! Quand le ressentiment et la haine parasitent nos relations, nous vivons sur le mode du « je te haime » bien analysé par le psychologue Guy Corneau 1. La Bible tout entière nous incite à la lucidité sur nous-mêmes, qui ne saurait être dévastatrice quand elle se vit sous le regard de la Bienveillance. En quête de cette « vérité qui rend libre » promise par Jésus, nous pouvons repérer ce qui se passe en nous : « Montent d’un ailleurs qu’on ne connaissait pas, écrit Maurice Bellet, des désirs, des impulsions qui troublent tout ; de l’inconscient, comme on dit, surgissent des envies, des fureurs, des jalousies incontrôlables (…). Et la force même du lien devient force de la haine, des ressentiments, des exclusions réciproques » 2.
La psychologie a depuis longtemps souligné l’importance de la haine et de la colère dans la quête d’identité et d’autonomisation du sujet : ayant été totalement dépendant de sa mère, l’enfant est appelé à se constituer en quelqu’un de différent. Et le processus est le même à tout âge, notamment dans les relations où il y a de la dépendance, potentiellement mortifère à long terme 3. Rappelons que l’enjeu est l’instauration de relations harmonieuses, dans le respect fécond de l’altérité d’autrui. Pour Carl G. Jung, il faut se réjouir du processus d’individuation, car le paradoxe fusion-séparation se résoudra quand le moi atteindra le niveau le plus profond de l’être — là où disparaît la division entre soi-même et autrui.
Pourquoi est-il si difficile d’accepter ce « passage par la haine », dans sa propre vie comme dans celle des autres ? J’y vois trois raisons. La première est historique : c’est l’interdit sur la colère, qui a lourdement pesé sur l’Occident chrétien. La deuxième est psychologique : c’est la peur d’un débordement ingérable, d’un enfer dans lequel on s’enfermerait définitivement. La dernière est théologique : c’est l’hypertrophie d’un Dieu condamnateur, qui rend sourd à tous ces textes bibliques où s’expriment, en toute liberté devant Dieu, la haine, le besoin de vengeance, le ressentiment, etc.
Sortir des « logiques infernales »
L’expression est de Maurice Bellet, qui prend soin de distinguer la haine féconde, passagère, porteuse de vie relationnelle pacifiée, et la haine « qui est en sa substance destruction, parce qu’elle est l’amour lui-même devenu impossible, se déchirant du dedans », pouvant aller jusqu’à devenir « une haine de l’amour, un ressentiment effrayant contre lui » 4. Nous nous concentrerons sur la première forme de haine, pour voir comment ce passage obligé est explicitement pris en compte dans les évangiles.
Mais parlons d’abord de la difficulté à se séparer pour vivre autonome et découvrir la richesse du lien : c’est l’expé...
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