Dans la notice que la nouvelle édition des Œuvres poétiques et dramatiques a consacrée à ce texte de Péguy, fâcheusement sous-estimé par la critique universitaire, Claire Daudin faisait remarquer qu'il n'avait jamais été publié en format de poche. Il faut savoir gré à la présidente de l'Amitié Charles-Péguy d'avoir réparé cette négligence en le publiant dans une édition qui, si elle n'est pas de poche, n'en est pas moins accessible au plus grand nombre.

« Le Mystère des Saints Innocents est encadré par deux évocations pathétiques, celle de Dieu pleurant sur le cadavre de son fils cloué sur la croix, et celle des mères juives qui ne peuvent être consolées parce que les soldats d'Hérode ont massacré leurs nourrissons. Entre ces deux tableaux, de quoi espérer, de quoi se relever, de quoi vivre : l'affirmation du pardon, le rejet de la mauvaise conscience et du moralisme, l'éloge de la liberté et l'hymne au peuple français, l'alliance poursuivie entre le Dieu révélé aux juifs, offert aux chrétiens, à la merci de tout homme. »

Mais ces différents motifs de l'œuvre, ainsi résumée par Claire Daudin dans son introduction, ne nous atteignent au plus intime que par le souffle poétique qui les anime et la voix qui les porte. Pas n'importe quelle voix, puisque c'est Dieu lui-même qui parle. Et il parle par la bouche d'une Madame Gervaise qui a renoncé à ses sentences catéchétiques pour laisser Dieu se dire lui-même et dire à ceux qui se réclament de lui : « Pour qui me prenez-vous ? » En faisant fi de toutes nos représentations, Dieu se met à graver patiemment son autoportrait de Père miséricordieux dont l'évidence se révèle dans l'admiration qu'il porte à sa plus belle création : la liberté de l'homme dont il préfère « le bel agenouillement droit » aux « prosternements d'esclaves » et aux « contorsions » de la mauvaise conscience. C'est à cette liberté que le poète s'abandonne filialement du même mouvement qu'il s'abandonne à la liberté créatrice d'une inspiration qui puise le meilleur d'elle-même aux sources des deux Testaments autant qu'à celle de la liturgie, dont il disait si bien qu'elle est de la « théologie détendue ».