L'inquiet ne trouve pas le repos. Il est troublé/agité. Il remue sans cesse et dans son corps et dans son esprit. Il a peur. L'inquiétude se caractérise par l'impossibilité de consentir au repos là où seulement l'homme peut y accéder : dans l'iri et le maintenant d'une rencontre qui l'assure ou qui le rassure en l'attirant dans l'amour.
 

Vivre est un repos


Ne pas être inquiet pour un bébé, c'est être sûr, en sa chair, des bras qui le portent comme du ventre qui l'a iporté, et partant c'est la possibilité, en son esprit, de se confier à la parole qui l'appelle à la vie dans la rencontre. Ce qui est inquiétant, en effet, est ressenti comme étrange ou dangereux. Dans l'inquiétude, la rencontre n'est plus ressentie par les sens comme une présence prometteuse de vie ou de reconnaissance Avant même qu'il en ait conscience, dès le commencement, le bébé éprouve la rigidité des mouvements de la mère ou le mensonge du père comme une insécurité. Quand bien même la préoccupation maternelle prétend être une forme de l'amour, l'enfant ne peut y croire. Il ne peut plus se confier à la voix qui lui promet la vie. En elle, il ressent l'angoisse cachée et la peur de vivre. Impossible de sourire, de répondre, de croire — tant c'est contradictoire — à ce qu'il ressent dans la rencontre inaugurale avec sa mère.
Beaucoup d'êtres sont construits sur la réalité — ou le fantasme — d'un abandon précoce de leur corps à des sensations de peur ou de retrait en lieu et place de sensations de plaisir ressenties et interprétées dans la joie à l'occasion de la première rencontre. La naissance ou tout ce qui la signifie ne saurait alors être interprété comme bénédiction. Elle est plutôt redoutée comme malédiction, comme mort. Ces êtres sont inquiets : ils vivent confusément leur naissance — cette rencontre primordiale — comme un abandon. Ils ont des doutes sur leur existence même. Ils sont inquiets de ne pas vivre vraiment. Et, bien davantage, ils vont passer leur vie à dénier cet abandon à l'occasion de n'importe quelle séparation. Ils diront, par exemple, que rien ne les touche venant des autres, qu'ils n'ont pas peur, etc. Pourtant, on reconnaît ces crâneurs comme les frères des abandonnés au fait que, malgré les apparences, ils ne trouvent pas intérieurement le repos. Ils ne sont pas dans une proximité de la vie qui est en eux. Ils se font vivre. Ils ne vivent pas de la Vie qui est en eux. Leur calme apparent neutralise et compense une agitation intérieure, voire inconsciente, que tout l'entourage sera étonné de voir apparaître à l'adolescence ou dans la vie adulte, lors d'une crise ou d'un appel à la tendresse qui fissure la carapace de l'indifférence
Si l'homme n'abandonne pas sa prétention à sortir de l'inquiétude par lui-même, s'il ne change pas pour devenir comme un petit enfant, il n'entrera point dans le Royaume des deux, il n'entrera point dans le repos, il ne sera pas re-posé dans la Vie qui est en lui. Il restera inquiet, hors quiétude, se cherchant lui-même dans la fierté d'une autonomie dont il tente de se convaincre par l'ambition de son regard, en poursuivant de grands desseins qui le dépassent toujours. Il est en vérité totalement absent de l'image de lui-même qu'il ne cesse de promouvoir. Progressivement, sous prétexte de naître à lui-même, il quitte la proximité que l'âme entretient avec la vie qui lui est donnée quand elle est tenue dans l'intimité égale et silencieuse, dans l'attente Il la quitte donc et, avec la complicité des grands, il impose son image vide et valeureuse. Il va passer sa vie à défier la mort au lieu de se livrer à l'Amour le plus grand, celui qui consiste à recevoir la vie de ceux qu'il aime de sa mère Encore faut-il que sa mère soit elle-même détachée de sa propre vie pour qu'elle laisse se transmettre ainsi la Vie... et que le petit d'homme se laisse suffisamment détacher de sa mère pour qu'il vive de la vie qui lui est donnée !
Impossible de réfléchir sur l'inquiétude et le repos sans se trouver propulsé au coeur de la génération, dans la transmission d'une vie parlante ou d'une parole vivante qui révèle dans l'inquiétude du temps la communion originelle : le re-pos étemel. Elle révèle la proximité de l'invisible Vie, proximité dont l'ennemi du genre humain prétend que c'est un mensonge depuis le début. La vérité que celui-d suggère en accusant la vie de mentir, c'est celle de la mort où sa jalousie tente d'entraîner tous les hommes. Sur cette pente-là, l'inquiétude conduit au péché en niant l'amour dont la vie même du pécheur témoigne pourtant. Il s'inscrit en faux contre lui-même vivant et s'enferme dans la jouissance d'un désespoir, d'un péché sans pardon.
 

Sortir de l'inquiétude : consentir au repos


Consentir au repos, trouver une issue à l'inquiétude c'est écouter quelqu'un qui a les paroles de la vie étemelle celle qui ne cesse de se donner et qui, se donnant, traverse les vivants de génération en génération et les fait vivre en elle. Cette vie qui n'est pas concevable hors d'un rapport de la chair à l'Esprit qui la fait vivre et qu'elle peut refuser pour vivre par elle-même, c'est, dans la révélation du Fils de l'homme, la vie de Dieu : Dieu même.
Ne pas consentir au repos, à être re-posé par et dans celui qui attire à lui comme en témoigne la vérité du désir, c'est pour l'homme se couper de son origine, devenir sourd à la parole qui l'engendre en se donnant à lui. Le désir qui anime l'homme le conduit vers le repos, c'est-à-dire vers la re-position de lui-même dans la vie Seul un Autre à l'origine de toute altérité, peut l'introduire dans une altérité relative et l'y faire demeurer 1.
Cette re-position de soi par l'Autre est l'acte de la parole originaire l'acte d'une parole-Autre induse dans l'autre et en moi comme en tous les vivants. Cette vie de la Parole est divine. Au coeur de l'homme, elle est la source de l'oeuvre humaine, elle est la démesure dans la mesure 2. Le sujet humain y naît de la rencontre avec celui qui le reconnaissait avant qu'il ne se connaisse dans la différence où il naît, et qu'il ne connaisse le monde qui lui parlait avant qu'il ne parle, dans le silence, et qui le désirait de toute éternité et par là, le donnait à lui-même dans le temps. Ce faisant, il le fait ou refait être homme vivant de sa vie comme son égal, son interlocuteur, comme un « tu » pour un « je » dans l'unité d'un « nous ». Il se reconnaît en lui comme sujet de la parole. C'est de cette rencontre impossible à imaginer et à dire que le prophète témoigne (cf. /r 1,5). Dieu prend son repos éternel dans celui qu'il re-pose éternellement en lui.
 
« Seigneur, je n'ai pas le coeur fier
ni le regard ambitieux ;
je ne poursuis ni grands desseins,
ni merveilles qui me dépassent.
Non, mais je tiens mon âme égale et silendeuse ;
mon âme est en moi comme un enfant
comme un petit enfant contre sa mère.
Attends le Seigneur, Israël,
maintenant et à jamais » (Ps 131).

En vérité, cette Parole originaire est et n'est pas celle de l'homme Elle l'est dans la mesure où, étant la Vie, elle le fait vivre de la vie dont elle vit en et par elle-même. Elle ne l'est pas dans la mesure où, étant vivant, il cherche à prendre son repos dans ce qu'il fait et se promet à lui-même dans sa parole et sa volonté propres. Il en oublie qu'il vit en ses limites, d'un amour sans limites d'où lui vient la vie. Cet oubli est négation de la démesure de l'Amour : il sépare la créature de son origine. Elle devient étrangère à la Vie qui s'y donne. Elle finit par devenir étrange à elle-même et aux autres. Là, l'homme sombre dans une inquiétude sans repos, car, qu'il le sache ou qu'il l'ignore, son âme ne cherche plus le repos en toutes ses puissances et tous ses mouvements. Il est voué à la dispersion des pulsions.
 
« L'âme cherche le repos en toutes ses puissances et tous ses mouvements, que l'homme le sache ou l'ignore. Jamais il n'ouvre les yeux ou ne les ferme sans chercher par là le repos : ou bien il veut rejeter hors de lui quelque obstade, ou bien il veut attirer à lui quelque chose où se reposer. C'est par ces deux mobiles que l'homme accomplit toutes ses oeuvres. Je l'ai déjà dit souvent : l'homme ne peut jamais éprouver amour ou joie en aucune créature sans qu'il y ait là une ressemblance avec Dieu » 3.

Dans le repos qu'il désire inconsdemment, l'homme cherche Dieu qui s'engendre en lui. Que Dieu s'engendre en lui veut dire que l'homme créé homme et femme s'engendre en Dieu. Dire cela, ce n'est pas nier la différence sexuelle ou la faire basculer dans une idéalisation perverse c'est dire que la vie de Dieu s'engendre dans la différence sans laquelle l'unité de la vie qui se donne ne peut être conçue, car l'homme étranger, oublié et oublieux, perdu, ne peut revenir par lui-même dans la communion de l'origine La différence chamelle dans laquelle Dieu s'incarne parce qu'il la fait vivre est le lieu où le désir de communion, dans l'alliance, tend à s'accomplir.
Cela signifie que Dieu est père des vivants et que la vérité de la parole vivante en lui est celle du Dieu unique : il est la Vie manifestée dans la communion des hommes dès l'origine, et il n'y a pas de communion espérée, désirée, sans différence. La différence entre l'homme et la femme est ordonnée à l'unité d'un être différencié : l'enfant... en tant qu'il est l'enfant de la Vie. La différence du Père et du Fils vise à leur unité dans la Mère à la condition qu'elle n'y mette pas d'obstade Celle des frères vise à l'unité du Corps où vit la Parole de Dieu comme Père des vivants, des parlêtres 4.
 

Le corps dans l'unité de l'Esprit


La vie de la différence — son essence — manifeste l'unité de l'Esprit dans un corps. C'est aussi bien dire que tout corps vivant est trinitaire. Il doit son unité à l'esprit qui fait vivre ses membres différenciés dans l'essentielle différence du sujet qui l'habite par rapport au sujet qui habite un autre corps. Le corps est et n'est pas le sujet. Mais de ce qu'il parle, il est le signifiant qui représente le sujet pour un autre signifiant, pour un autre corps qui représente un autre sujet. Tout corps vivant vit en vérité de l'Amour trinitaire. Sa mort ne peut être que résurrection.
Quand elle ne vit pas de cet amour-là, la chair ne fait pas vraiment corps. Elle vit dans le mensonge et ne meurt pas d'Amour dans le don en retour. Mais elle meurt d'inquiétude dans le péché, dans le refus de la rencontre ratée, au lieu de demander le par-don. Toute chair vivante dans le monde reconnaîtra qu'elle vit du pardon, c'est-à-dire du don qui lui est fait jusque dans la mort, et qui est, dans l'histoire, manifestation de l'origine : résurrection. A travers le prisme du péché, en effet, et dès le commencement, l'origine du vivant ne peut être contemplée que comme résurrection du premier-né d'entre les morts. L'amour est source de vie, don originaire, absolu de la vie en vérité.
Là où il n'y a pas d'Amour, il n'y a ni incarnation ni amour ; il n'y a pas d'unité dans la différence. Il n'y a que convoitise des sens qui cherchent, chacun pour soi, à posséder le don comme une chose, un objet, à le dénaturer. Tel est l'orgueil de l'esprit qui nie l'Autre dans son absolue différence là même où il est manifesté dans l'unité. Il nie l'Autre en réduisant l'autre, le prochain, à rien. Là, le désir de Dieu en l'homme est gauchi, perverti et l'homme échoue dans sa quête du repos. Jamais il ne le trouve. Son errance a deux formes. Soit il erre pour toujours dans l'inquiétude II s'angoisse de ne pouvoir tout posséder pour lui tout seul. Le monde entier, l'amour même, devient objet de convoitise : il achète tout, il connaît tout dans une luddité dévorante, mais il ne trouve pas le repos... Soit il se défend de toute reposition de lui en un Autre dans la rencontre, de tout retour au Père — et la vie dont il vit est niée. Car ce n'est pas Dieu qui vit en lui, c'est lui qui prétend vivre sans Dieu dans la dilapidation de l'héritage revendiqué de la vie. Il prétend vivre, mais il meurt de ne pouvoir accéder aux fruits de l'arbre qui font vivre les cochons.
Convoitise et orgueil sont les deux tentations inhérentes à la mélancolie décrite par Romano Guardini : celle du désir avide des choses qui enferme dans un faux rapport avec les choses et avec soi-même ; celle du sentiment exagéré de sa valeur propre qui fausse toute relation. Soumis à ces tentations, l'homme fort perd le sens de la mesure et la limite extrême à laquelle il s'accroche n'est plus la limite vivante, celle du vivant de la vie donnée et reçue. De se prendre pour Dieu, il ne peut vivre en homme et de vivre en homme, il se croit menacé par Dieu. Il perd le sens du réel en perdant « la limite, l'élément proprement humain » 4. Cette limite interne à l'homme sépare l'image qu'il se fait de lui-même du sujet qu'il est dans son rapport aux autres. De cet écart, de cette division des commencements, surgissent la parole et le désir de l'homme.
 

Le lien de la parole : la proximité de la rencontre


Quand obstade est mis à ce lien de parole, l'homme oscille alors constamment entre deux images opposées qu'il a de lui. Tour à tour, il prend pour le réel ce qui n'est que la projection inconsdente hors de lui dans l'image de l'autre. Ayant refoulé la condition humaine, il se prend pour Dieu ou pour un surhomme à moins que, refoulant la filiation de la vie de la parole il ne se prenne pour un animal ou un être damné. Il tourne autour de la limite, ou plutôt se laisse prendre à un incessant retournement — comme un disque qui présenterait chacune de ses faces en se retournant automatiquement.
En tournant ainsi en rond, l'homme n'habite plus les limites de l'espace intersubjectif où la parole de l'Autre l'ouvre intérieurement en le posant et en le reposant dans la vie donnée II est, comme on dit, « à la limite », entre deux états. Il ne naît pas de cette limite comme on naît d'un espace matriciel. Moi divé, il ne cesse de la transgresser, d'entretenir un va-et-vient entre les deux côtés du moi qu'il imagine : ni l'un ni l'autre ne sont la vie. Dans cette incessante bascule entre deux termes opposés qui s'excluent mutuellement, rien n'est vrai. Jamais il ne trouve le repos. En s'identifiant à ce qu'il imagine il tombe de Charybde en Scylla dans un gouffre sans fond, et ne peut trouver la butée d'une parole qui mette fin au retournement insensé de sa pensée.
 
« Il est des eues qui éprouvent profondément le mystère de la proximité, des eues " à la frontière ". Leur nature tout entière veut qu'ils ne soient exdusivement ni ici-bas ni de l'autre côté. Ils vivent sur les confins. Us font l'expérience de l'inquiétude qu'une sphère fait éprouver à l'autte — de même ce sont eux qui portent en eux les pôles, la totalité de l'humain, mais, par là même aussi, la possibilité de la sdssion intérieure.
Médedns et psychologues dissertent très pertinemment sur les causes et la structure interne de la mélancolie. Souvent, il est vrai, leurs considérations sont tellement banales que l'on n'arrive plus à les accorder avec la profondeur et la force que révèle réellement cette expérience. Ce qu'ils savent énoncer, c'est précisément la théorie de certaines couches de l'infrastructure, et rien de plus. Le sens véritable de la mélancolie ne se révèle qu'à partir du spirituel. Et voici, me semble-t-il, où il réside en dernier ressort : la mélancolie est l'inquiétude que provoque chez l'homme la proximité de l'étemel. C'est là ce qui le rend heureux et en même temps, constitue pour lui une menace » 5.

La reposition dans la rencontre le mélancolique ne la ressent que comme mensonge. Comme nous le disions au début, en se trompant, il se trompe, il ne peut y croire La parole est pervertie. La promesse se donne comme une vérité qui ment ou comme un mensonge vrai ! Tordue, elle n'est jamais pour lui en esprit et en vérité : il n'est pas un homme né de l'alliance en Dieu et/ou dans l'Esprit du Père et du Fils, alliance manifestée dans la différence de la chair, en cette limite vivante, celle de l'homme dans son rapport à la femme et à leur enfant, celle de la femme dans son rapport à l'homme et à leur enfant, celle de l'enfant dans son rapport à l'homme et à la femme.
Tant que l'homme et/ou la femme n'entrent pas dans le repos ensemble, dans la re-position symbolique de l'un et de l'autre en l'Autre, leur rencontre demeure dans l'imaginaire, où la différence est récupérée par la convoitise et l'orgueil qui fabriquent l'image qu'ils ont d'eux-mêmes, au lieu de consentir à être reposés, ensemble, de consentir au repos là où seulement chaque homme peut y accéder, dans l'ici et le maintenant d'un seul corps, dans la rencontre de deux sujets vivant de l'Esprit qui s'incarne en eux.
Il n'y a de repos, alors, que dans l'accomplissement de l'incarnation, là où le verbe conjugue l'homme et la femme dans l'alliance. En ce trait différentiel de la limite et de l'interdit dont le fils est marqué s'indique l'ouverture à l'alliance dans et par laquelle il est en tant que né d'eux, fils de Dieu en qui toute différence s'origine. Il se fait chair différenciée dans laquelle se manifeste le Dieu du désir, dans l'attente, maintenant et à jamais.
 

Limite et différence


L'inquiétude et/ou l'agitation inhérente à la mélancolie et que rien n'apaise est la tentative de sortir de la limite, de l'élément proprement humain, à partir de laquelle il « comprend » qu'il n'est pas le monde... et qu'il n'est pas Dieu. Dans l'incarnation, l'homme est invité à accueillir Dieu en ces limites, comme à être accueilli en lui. L'inquiétude est du côté de la perpétuelle agitation d'une pulsion non satisfaite par l'objet autour duquel elle tourne Pris au jeu des pulsions, l'homme n'en a jamais assez. Il cherche sa satisfaction dans la répétition du même. Or seul l'Autre, dans sa radicale et originaire position, peut le satisfaire. Il le satisfait en le délivrant du même, de ce Moi pris, dans le dédoublement imaginaire, pour l'Autre. Mais l'Autre n'est habitable que dans le saut de la mort du moi à lui-même, l'ouvrant à la dimension de l'Origine qui le spédfie comme homme. Or l'origine ne se dédouble pas : elle s'engendre dans l'Altérité. Elle est même et Autre. Elle est le lieu de la communion des sujets dans l'unité de leur différence. Pour les hommes, l'origine n'est en définitive pensable que sous les traits du Père s'engendrant en se donnant tout entier à la Mère et/ou sous les traits d'une Mère se donnant tout entière au Père sous les traits d'une alliance d'où naît la Parole qui donne corps à la chair et/ou une chair différendée dans l'acte de la Parole qui se donne.
Si l'inquiétude est du côté de la perpétuelle agitation des sens et des sensations — sexuelle oculaire auditive, tactile, gustative —, la quiétude est du côté de l'infini désir du sujet, désir infini, reposition radicale du Même en l'Autre dans le moment où la pulsion, marquée ou poinçonnée de la parole, la pulsion de la chair, ne cherche plus sa satisfaction propre. Ordonnée à l'unité des différences dans un corps, elle devient signifiante du désir inconscient ouvert au réel de la Présence jusque dans l'absence Un patient me disait : « Je crois bien que je suis dans les broussailles, dans les ronces et dans la nuit d'une forêt profonde. Je sais seulement que j'avance et j'espère que Dieu n'a pas lâché ma main. Je le vis comme une absence vécue dans la présence, exactement l'inverse d'avant. » L'inverse de l'absence vécue dans la présence, c'est bien la présence vécue comme absence, le dédoublement dont nous parlions au début avec l'épuisement qu'il y a à le nier.
 
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L'inquiet cherche la présence hors du présent et sa déception se renouvelle de ne jamais l'atteindre. C'est lui qui toujours se dérobe en avant ou en arrière. Mais la Parole est là, dans l'entière nouveauté de ce qui ne s'antidpe pas et de ce que la mémoire a oublié. L'ouverture au présent, l'instant de la rencontre, cet ici et ce maintenant de l'attente est tout à la fois désiré comme le bonheur et craint comme la menace. L'homme a peur de la réalisation du désir qui le repose en Dieu. La proximité du bonheur de la présence réelle, sans mesure, s'éprouve comme une menace absolue pour la limite de l'homme qui se trouve élargie aux dimensions de l'univers. « La mélancolie est l'inquiétude que provoque la proximité de l'éternel. C'est là ce qui le rend heureux et en même temps constitue une menace. » Etre attiré par le feu de l'amour fait peur au vieil homme. Il ne peut que s'y perdre. Mais « celui qui aime sa vie la perd et qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle » (Jn 12,25).



1. « Un homme peut ne pas comprendre les choses ; qu'il demeure dans la quiétude, les choses le comprendront » (Suso).
2. « Dieu n'a besoin de rien sinon qu'on lui offre un coeur en repos ; il opère alors dans l'âme de telles oeuvres secrètes et divines qu'aucune créature ne peut l'y aider ni les voir (..) que quelque créature intervienne (...), [et] Dieu ne peut pas opérer dans l'âme l'oeuvre divine car tout ce qui pénètre dans l'âme comporte une mesure La mesure est ce qui indut quelque chose en soi et exclut de soi quelque chose II n'en est pas ainsi des oeuvres divines elles sont sans mesure et sont incluses dans l'ouverture de la révélation divine » (Maître Eckhart, Sermons III, Seuil, 1979, p 11)
3. Idem, p 10
4. L'homme est un être de parole un partëtre, dit Lacan.
4. R. Guardini, De la mélancolie, Seuil, 1953, p 75
5. Idem, pp. 68-69.