Nous pensons spontanément que personne ne peut vouloir faire le mal de manière délibérée. Si quelqu’un tue, vole ou viole, c’est, suppose-t-on, parce qu’il ne pouvait pas faire autrement, à cause de ses antécédents biographiques, de son manque d’éducation, ou de sa situation financière. Une prise en considération superficielle des sciences humaines ou des déterminismes divers qui nous conditionnent entretient aussi une telle position. On juge alors qu’il ne faut justement pas juger, pas condamner des gens qui sont sans doute mus par des motivations secrètes ou inconscientes dont ils ne sont pas réellement responsables. Il faut dire qu’il ne s’agit pas là seulement d’un préjugé moderne ; une longue tradition de pensée nous a inculqué l’idée que « nul ne fait le mal volontairement », qu’au fond, même dans le mal, c’est encore le bien que l’on vise. Le voleur ne vole pas pour voler, mais pour nourrir sa famille, ou pour satisfaire des pulsions non maîtrisables. Mais ce n’est pas le mal qu’il veut en lui-même. Position qui a l’avantage d’interdire des condamnations trop rapides, trop tranchantes, et qui oblige donc à un examen plus fin et plus nuancé des actes humains.
Il y a plus subtil aussi : bien des fois, en voulant rendre service, en cherchant à faire du bien, le résultat n’est pas à la hauteur de la visée, mais, bien plus, il s’avère avoir provoqué des conséquences funestes ou plutôt contribué à accroître les difficultés. Ici, la bonne intention se révèle néfaste, mais comment éviter un tel risque grave d’un point de vue des relations humaines ? Comme le constate saint Paul : nous faisons aussi le mal alors même que nous ne le voudrions pas, comme si nos gestes nous dépassaient et prenaient une portée que nous n’avons pas souhaitée, échappant en quelque sorte à nos prises.
 
On en vient donc à se demander, en aggravant la question : n’y at- il pas en l’homme le vouloir de faire