Albin Michel, coll. « piritualité », 2008, 380 p., 20 euros.

Homme de médiation et historien, Jean-François Six a toujours aimé croi­ser les destins des grandes figures spi­rituelles qu’il a pu étudier, à l’instar d’un Antoine Chevrier, d’un Charles de Foucauld ou d’une Thérèse de Lisieux. Ici, c’est la rencontre en 1909 entre Foucauld et Louis Massignon qui est évoquée à travers le grand rêve, l’utopie commune du prêtre missionnaire et de l’islamologue de créer une « Union de frères et soeurs, religieux ou laïcs, tous égaux, “défricheurs” disséminés à travers le monde et en communion de prière ». Retracée avec clarté et minutie, cette rencontre met face à face deux hommes qui ont expérimenté chacun à sa manière les tentations du monde, la conversion et la découverte d’une autre culture. Choc de deux passions, à l’évidence, étonnant mélange où s’interpénètrent le psychologique, le religieux et le culturel.
Mais que va-t-il advenir à la mort de Foucauld de la démarche particulière de l’« Union » ? Qu’en est-il au fond de la postérité et de l’interprétation de ses intuitions spirituelles ? Si Massignon re­prend le flambeau, il se heurte très vite à ceux qui, tel le P. Voillaume, souhaitent davantage faire des disciples du Père un institut religieux en se fondant sur les écrits antérieurs. En ce sens, Voillaume imagine déjà ce qui sera les Petits Frères de Jésus. Pour les membres de l’Union, au contraire, il ne s’agit pas du tout de fonder une congrégation.
Si l’on dépasse les pures questions d’organisation ou certains traits datés comme ce christianisme qui, particu­lièrement chez Massignon, insiste sur la souffrance ou la substitution, ce li­vre pose bien la question de la survie d’une intuition à travers des institutions qui risquent parfois de banaliser ou de récupérer le charisme. Il souligne à sa manière l’importance des filiations spirituelles parfois complexes à établir lorsqu’une grande figure n’a rien fondé de son vivant.
Enfin, l’intérêt de ce livre réside sur­tout dans sa dimension de témoignage direct. Jean-François Six fut en effet très proche de Massignon et mit à jour, du­rant la guerre d’Algérie, une autre figure de Charles de Foucauld, non colonialiste et humaniste, défricheur missionnaire plus qu’ermite.