Flammarion, 2001, 190 p., 15 €.

L'auteur, que nos lecteurs connaissent bien (cf. le n° 188 sur « Le souci de soi »), nous livre id, en philosophe des mentalités contemporaines, une réflexion d'une actualité saisissante sur la place de l'émotion dans la culture d'aujourd'hui.
Tout se passe comme si, pour se sentir vivre, il fallait éprouver des émotions fortes : sports de l'extrême, images chocs, jeux vidéos, grands spectacles, musiques trépidantes... Je sens, donc je suis ! Ce retour au ressenti, après l'inflation du penser et la critique de l'agir, a quelque chose de bon en ce qu'il équilibre notre culture trop rationnelle Mais il aboutit par tes excès à l'altération de la sensibilité, voire à son anesthésie : « On s'émeut beaucoup, mais on ne sait plus vraiment sentir. » Les véritables sentiments, en ce qu'ils s'attachent aux valeurs, ouvrent au monde de l'intériorité. Aussi ce livre est-il un vibrant plaidoyer pour l'éducation de la sensibilité, dans la disponibilité à ces sentiments supérieurs, qui, loin d'isoler chacun dans son ressenti, ouvrent à la communion des personnes.
Nous voilà à l'orée de la spiritualité, dont l'entrée est l'admiration : « La vie intérieure est un phénomène d'ordre psychologique ; dans la vie spirituelle les états de conscience sont en relation avec des valeurs, des vérités éternelles, qui font participer au domaine de l'esprit » Le passage de l'un à l'autre se réalise par l'admiration. Un tout petit pas de plus, serait-on tenté de penser, et l'on parlerait de louange Mais l'auteur, respectant les limites, se garde de le franchir.
Reste qu'il serait intéressant de réfléchir au rapport entre l'admiration et la louange. La contemplation des créatures visibles, et ce qu'elle éveille d'étonnement admiratif, n'est-elle pas un chemin vers la reconnaissance de leur auteur ? Somme toute, un livre qui ouvre des pistes très fécondes à l'éducation du sentir intérieur, condition de toute expérience spirituelle