Le sous-titre est trop modeste. « Méditation » est à entendre aussi en son sens le plus large. Dans la foire actuelle aux spiritualités, avec ou sans Dieu, cet ouvrage constitue une remarquable présentation de la spiritualité chrétienne dans sa singularité, par un universitaire spécialiste de la littérature du XVIIe siècle, excellent connaisseur des Écritures et de la tradition chrétiennes.
Le titre, quelque peu énigmatique (tout le monde n’y reconnaît pas d’emblée la main de Pascal), a l’avantage de rappeler une vérité depuis trop longtemps oubliée par les chrétiens d’Occident, marqués par le « spiritualisme » et le dualisme platoniciens : la vie spirituelle commence au niveau du corps, et d’abord du diaphragme. Spiritus, l’« esprit », c’est d’abord une affaire de respiration, de souffle. L’Esprit Saint, dans la Bible, c’est d’abord l’haleine de Dieu (Pr 8). Dans toutes les spiritualités, l’exercice fondamental – la méditation – commence par l’attention portée à la respiration. Les moines orientaux (de tradition grecque, pourtant !) le rappellent aujourd’hui avec bonheur aux orants de l’Ouest.
Au-delà de la méditation (et de la contemplation : l’auteur transgresse, avec raison, les frontières artificiellement tracées à l’époque scolastique), c’est une véritable anthropologie spirituelle chrétienne pour aujourd’hui qui est ici présentée avec un grand sens pédagogique. Elle repose sur sept piliers (oeuvre de Sagesse !) : Vide, Souffle, Corps, Image, Parole, Écriture, Temps. On est loin des déductions dogmatiques et aristotéliciennes qui font habituellement la trame des traités de spiritualité. La démarche, fortement inspirée par la phénoménologie et l’herméneutique, commence par épouser les données premières de l’expérience. Elle fait certes redécouvrir au passage la pertinence des dogmes, incarnation et trinité surtout. On retiendra cette belle définition de la méditation chrétienne : une « pensée du Christ » (1 Co 2,16) qui ne refuse pas l’Esprit.
On comprend ainsi, par exemple, comment l’épreuve du vide n’est pas réservée aux héros de la nuit mystique, mais accompagne tout chemin spirituel : épreuve consentie du désert, de la privation, dégoût de la vie, fascination du rien, du néant (comme dans le Tao), expérience de l’absence. L’excès que représente le Plérôme, la « plénitude » promise, doit traverser cette béance.
C’est au monde de la Bible, non à l’hellénisme ni à la théologie scolastique, que sont empruntées les catégories permettant de penser l’expérience spirituelle, à la lumière de la tradition comme de la philosophie et de la psychologie contemporaines : l’âme, le coeur, l’esprit, la chair, le corps, la parole, la voix, l’écriture. Ces termes usés trouvent ici une saveur nouvelle. Dans la méditation, « la pensée ressemble à une prière de la raison, comme la prière ressemble à une intelligence du coeur ».
La clarté et la rigueur de la pensée, la finesse des intuitions, la netteté d’une écriture aussi suggestive que maîtrisée, aident le lecteur à se retrouver dans le maquis des notions où se perdent souvent les discours spirituels : théorie des « sens spirituels », « éros mystique », « états du Christ ». L’expérience spirituelle dans sa dimension esthétique et la théorie de l’image (« Il est l’image du Dieu invisible ») donnent lieu à de superbes développements sur la musique, le chant (grégorien notamment), l’architecture, la peinture (l’icône). Tout s’organise autour du Mystère du Christ, du Mystère qu’est le Christ.
Or ce Mystère a partie étroitement liée à l’histoire et à une communauté humaine historique (l’Église). La spiritualité chrétienne ne flotte pas dans l’intemporalité. Le dernier chapitre (Temps) fait droit à cette dimension incarnée, charnelle du christianisme et donc aux ambiguïtés, aux faiblesses et aux infidélités constatables par tout le monde. L’auteur n’est pas le dernier à les souligner. Mais, fait-il remarquer, si nos contemporains sont fondés à critiquer les lourdeurs institutionnelles du christianisme, ils oublient souvent ce que la modernité doit à celui-ci, à commencer par les valeurs de laïcité, de liberté, d’égalité, de fraternité. Le christianisme se voit aujourd’hui « ostracisé par un monde qui lui doit en grande partie ce qu’il est, y compris dans sa défiance vis-à-vis du religieux ». Car le christianisme « fabrique moins du “religieux” qu’il ne déconstruit l’attachement irrationnel à toute forme de religiosité ».
Cette approche du christianisme comme spiritualité, et spiritualité incarnée qui résiste à la critique marxienne comme à la critique freudienne de la « religion », tout en assumant le « travail du négatif » à l’oeuvre dans les consciences individuelles comme dans l’histoire, présente ainsi un aspect apologétique bienvenu qui doit sans doute quelque chose à l’inspiration pascalienne : elle suggère que la spiritualité chrétienne « n’est pas contraire à la raison », qu’elle est « aimable » et « vénérable ». Elle pourrait « faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie ».
Dominique Salin