L’amitié est une expérience discrète Elle s'avoue rarement d'une manière directe. Elle préfère les expressions indirectes : gestes symboliques, signes de connivence, rituels...
A la différence du sentiment amoureux qui appelle la déclaration, elle s'accompagne de pudeur sur elle-même, quand bien même elle serait par ailleurs le lieu de confidences intimes L'écrit toutefois est favorable à son expression. Tout se passe comme si l'absence physique du destinataire favorisait l'aveu explicite du sentiment. « Mon cher », « chaleureusement tien », « ton frère », « tibi »...
Que signifient alors cet adjectif ou ce pronom dits « possessifs » ? Que dis-je lorsque j'écris à mon ami qu'il est « mien » ou que je suis « sien » ? Certainement pas la possession au sens de propriété pouvant s'appliquer à un objet, ni l'appropriation ou la mainmise. Est signifiée ici une appartenance, à entendre comme une forme d'unité, de victoire sur la dualité, de lien reposant sur la confiance, la fiabilité : tu peux compter sur moi, comme je peux compter sur toi. Plus même, tu vis en moi comme je vis en toi.
Mais l'on pressent que cette inhabitation mutuelle n'est pas tout à fait celle de l'amour — à entendre comme sentiment amoureux. Celui-ci, et plus encore l'amour conjugal, engage une forme d'unité à laquelle ne saurait prétendre l'amitié. Un des signes de cette différence est une implication différente des corps. Pourquoi ce signe ? La question peut s'entendre de deux manières : où est la différence entre ce qui est signifié (entre les deux formes d'unité) ? Mais aussi — et la question se pose de plus en plus aujourd'hui — pourquoi maintenir la différence entre les signes eux-mêmes ? Autrement dit, pourquoi la pudeur, la réserve ? Pourquoi, en particulier, le corps ne serait-il pas impliqué dans l'amitié ?
 

La rencontre incarnée


Le corps est impliqué dans l'amitié. Il serait erroné de dire qu'il en est absent. On a pu dire à juste