Après L'autre Dieu, l'auteure, théologienne protestante, aumônière d'hôpital et écrivaine, retrace l'itinéraire spirituel que balise en elle, pas à pas, la question de l'engagement politique. Question redoutable qui surgit un matin d'hiver, de grippe et de neige, à travers les larmes d'un interlocuteur au téléphone. Et, à partir de là, s'ouvrent ou se rouvrent des portes intérieures qu'on avait soigneusement fermées, plus ou moins consciemment, pour éloigner les désillusions et déceptions, tout en faisant du refuge familial, bien à l'écart, la clairière du bonheur et de la liberté. C'est là que le livre touche, au plus profond. Car il ne s'agit ni de convaincre, ni d'adhérer, ni a fortiori de convertir, toutes choses qui ramèneraient à des images manipulatrices du politique et d'un pouvoir séducteur. Plus que les rêves déçus, plus que les discours et arguments décevants, c'est le désir de l'autre qui nourrit notre élan vers lui et nous fait sortir du « chez soi » et de nos cachettes les plus sûres. Malgré la neige et la grippe, comme la voix de Jo au téléphone. Malgré la peur et la déception, comme Élie, un prophète désenchanté bien à la mesure d'aujourd'hui, lui qui ne croit plus ni au progrès, ni à la possibilité de faire mieux que ses pères, mais qui, dans sa passion pour la modération, reconnaît Dieu dans « la voix d'un fin silence », dans « un son doux et subtil ». L'homme politique d'aujourd'hui est celui que sa force spirituelle fait « sortir du clan » pour éveiller et faire émerger le désir politique, le désir et le « courage d'être avec », de vivre ensemble, en tous ceux qu'il rencontre, en tout citoyen, comme l'a fait Jo avec l'auteure renvoyée à l'Évangile. En six étapes et dans le style vivant et charnel qu'on lui connaît, Marion Muller-Colard nous livre cet itinéraire spirituel et politique à la fois, au sens le plus noble et concret. Jacques Ellul et surtout Hannah Arendt sont les appuis les plus forts de sa réflexion au service d'une démocratie plus participative. Etty Hillesum n'est pas loin non plus, avec sa passion de l'autre, la joie et l'action qui procèdent de son désir de Dieu. En 1965, Jean Daniélou publiait au Cerf L'oraison, problème politique, rappelant à ses lecteurs, pétris de sens collectif et de foi dans le progrès et l'action, que seul le désir de Dieu nous maintient dans une écoute vraie des autres et une passion du bien commun. Dans une situation culturelle inversée, Muller-Colard nous rappelle qu'un désir spirituel qui ne relèverait que de soi ou de l'entre soi, fût-il religieux, ne serait pas désir de Dieu, Lui qui élargit à l'infini celui de son Fils, grâce à une femme syro-phénicienne, étrangère.