Relire. Retourner d'où l'on vient. Là où la vie nous regarde. Là où tout n'en finit pas de commencer. C'est à cela que nous convie le dernier livre de Jean-Pierre Lemaire, Le baptême d'Icare. Son sous-titre, « Relectures », a la délicatesse du pluriel, sa profondeur aussi. Après son essai Marcher dans la neige : un parcours en poésie, paru en 2008 chez Bayard et réédité chez Lessius, le poète répond à l'invitation d'un ami et se laisse conduire aux sources de la création poétique d'une façon plus libre et plus personnelle. Il revient sur ces lieux intérieurs à rebours de toute quête, ceux qui ne s'entrevoient que dans le dénuement : « Alors que j'avais cherché Dieu du côté du soleil, je me suis aperçu qu'il était descendu dans notre vallée perdue, dans notre chair souffrante ; que la Sainte Face était terne, et que le Ressuscité n'avait pas d'ailes. » Des piscines de Lourdes à la « vue d'en bas » dont parle Pierre Reverdy, Jean-Pierre Lemaire suit d'une même reconnaissance la rive de sa vie et les poèmes qui la traversent. Qu'ils soient issus de ses lectures ou qu'ils soient les siens – dont certains inédits –, ceux-ci portent des silences qui sont autant de rencontres du Verbe. Dans cette trajectoire surprenante, l'événement, le poème, l'Évangile et l'art poétique sont intimement liés. Moments premiers et enfouis des petites choses de la vie : « Repasse la frontière / que tu avais franchie clandestinement / Reviens derrière la ligne d'ombre / et tu reverras, appuyé contre l'arbre / la fête lumineuse et lointaine / la table du goûter au bord de la rivière / les robes de ciel et de paille. » Regardons ensemble le boiteux de la Belle Porte, l'ivrogne tombé à terre dans un quartier nommé « Recouvrance », le poète qui se souvient des vers d'Umberto Saba et les élèves qu'il cherche humblement à « enseigner dans le Christ ». C'est là l'attention du poète : « Une fois que nous sommes revenus au bon point de départ, le voyage vers le pays de l'autre peut vraiment débuter. La sortie de nous-même commencera peut-être par un temps d'arrêt au seuil de ce pays vierge où tout notre bagage ne nous sera d'aucun secours. » L'écriture y trouve pleinement son sens : « Pourquoi écrire, en effet, sinon pour collecter les signes bienveillants par lesquels l'amour semblait nous dire quand nous étions perdus : "Voici le chemin, prends-le ?" » Voilà bien le cadeau de ce petit essai que de nous rendre à l'eau discrète. C'est l'instant du poème. Celui qui laisse la pesanteur nous plonger dans la grâce.