Après sa convalescence et sa toute récente expérience de conversion à Loyola, Ignace se met en route comme un pèlerin. Sur son chemin, il rencontre un Maure, et les deux débattent de la virginité de Marie, mère du Christ. Ignace s’indigne de l’obstination de son interlocuteur, mais il ne parvient pas à se décider : faut-il sauvegarder l’honneur de la foi et tuer cet infidèle ? Ignace ressent de fortes motions intérieures sans pourtant parvenir à faire le tri. Il fait l’expérience de l’importance du discernement spirituel, mais ne sait pas encore bien comment s’y prendre. Il abandonne alors la décision à sa mule. Si celle-ci suit le même chemin que le Maure, ce sera un signe : il poignardera l’infidèle. Heureusement, les chemins se séparent et le Maure survit à cette rencontre.
 Dieu dans notre réalité corporelle
Ce processus de discernement a de quoi nous paraître étrange : comment une décision de vie ou de mort peut-elle se prendre de façon si naïve ? Peut-être Ignace s’en est-il souvenu en écrivant dans les Exercices spirituels, plus précisément dans la contemplation finale « pour parvenir à l’amour » :

Considérer comment Dieu travaille et œuvre pour moi dans toutes les choses créées sur la face de la terre, c’est-à-dire qu’il se comporte à la manière de quelqu’un qui travaille, par exemple, dans les cieux, les éléments, les plantes, les fruits, les troupeaux, etc., leur donnant d’être, les conservant, les dotant de la vie et de la sensation, etc. (Ex. sp. 236).

Le Seigneur ne serait-il pas à l’œuvre dans cette mule, et cela pour le plus grand bien d’Ignace et du Maure ? On découvre chez Ignace une confiance profonde dans les êtres créés en qui Dieu travaille pour nous, et l’importance pour lui de percevoir, de connaître et de discerner ce travail de Dieu dans la création. Car il s’agit d’apprendre par lui-même à travailler dans le monde, à la suite du Dieu révélé dans la vie, dans la mort et dans la résurrection de Jésus de Nazareth, le Christ. Il s’agit de connaître le Christ intérieurement dans son humanité, afin de l’aimer et de le suivre davantage (Ex. sp. 104). Cela doit aussi s’interpréter très concrètement, très matériellement : nous voulons, « dans l’usage de nos sens, imiter le Christ notre Seigneur » (248). Connaître intérieurement le Christ, c’est donc le connaître en tant que Jésus de Nazareth, compagnon humain, dans le concret matériel de sa vie. Car Dieu s’y révèle, et nous sommes appelés à y suivre Dieu.
Aujourd’hui, nous savons, mieux qu’Ignace il y a cinq siècles, que nous vivons en solidarité profonde avec l’univers matériel : nous partageons son sort à travers une longue histoire qui nous révèle nos racines animales. Bien sûr, nous sommes des animaux extraordinairement doués, capables de discerner, de dire et de célébrer l’intimité divine de ce monde auquel nous appartenons – capables d’expliciter la foi dans un monde créé. Ignace ne fuit pas ce monde matériel, il le...
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