Éprise d’un amour ardent,
Je me gagnai en me perdant.
Saint Jean de la Croix
Je me gagnai en me perdant.
Saint Jean de la Croix
La voie évangélique a un goût de vie et de liberté : la guérison des corps et des esprits, la pacification des cœurs par le pardon, la libération des opprimés, l’appel universel à la filiation divine et à la fraternité, la joie du Ressuscité donnée en partage et que rien ni personne ne pourra jamais ravir, à quoi il faut ajouter les images et symboles tels que le grain de sénevé appelé à devenir un arbre où les oiseaux du ciel viendront s’abriter nombreux, le pain multiplié et partagé, le vin le meilleur versé à profusion, la porte qui ouvre sur les vastes espaces de frais pâturages.
Mais quiconque a goûté cette voie évangélique, et a commencé à en vivre, éprouve très vite l’exigence d’une conversion radicale, touchant aux racines de son être. Car l’Évangile dit aussi qu’étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, que le grain doit tomber en terre et mourir pour ne pas rester seul, que la vigne doit se laisser émonder pour porter du fruit et que si quelqu’un désire venir à la suite du Christ, il doit renoncer à tous ses biens, se renier lui-même et prendre chaque jour sa croix.
Quitter et se quitter
De telles exigences peuvent prendre sans doute des allures différentes chez les uns et les autres. Un mot pourtant les rassemble toutes, un mot qu’Abraham fut le premier à entendre et qui fit de lui le père de tous les croyants, un mot qui est un geste : « Quitter » ! « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai » (Gn 12,1). « Quitter », le mot du commencement qui fonde un avenir. « Si tu veux être parfait, disait Jésus à un homme riche, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux, puis viens, suis-moi. Entendant cette parole, le jeune homme s’en alla contristé, car il avait de grands biens » (Mt 19,21). À l’opposé, Pierre, parlant au nom de ses amis, disait à Jésus : « Eh, bien ! Nous, nous avons tout laissé pour te suivre » (Mc 10,28). Mais qui veut entendre toutes les harmoniques évangéliques du mot « quitter » doit contempler la figure de Jésus et se laisser longuement interroger par elle. C’est par sa vie qu’il a révélé les dimensions abyssales de ce mot, lui qui a quitté le sein du Père jusqu’à se quitter lui-même en ses insondables abaissements :
Lui qui est de condition divine
n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu.
Mais il s’est dépouillé,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes,
et, reconnu à son aspect comme un homme,
il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
à la mort sur une croix. (Ph 2,6-8)
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