Ce qui caractérise l'attitude de l'homme contemporain dans la nature, c'est qu'elle est totalement séculière, c'est-à-dire sans aucune référence à une origine ou à une fin qui serait au-delà du monde présent, ou bien en dehors des références accessibles au regard et à l'investigation de chacun. Cette attitude est en opposition avec ce qu'ont pensé et vécu les hommes des cultures antérieures qui étaient imprégnés des religions ou du sentiment religieux. Dans la tradition biblique, qu'elle soit juive ou chrétienne, l'homme se meut dans une création bonne, oeuvre d'un Dieu bon qui l'invite à reconnaître les bienfaits d'une nature amie, apte à conduire son regard jusqu'à l'auteur de ces merveilles. Le comportement de l'homme, dans sa vie religieuse comme dans sa vie morale, entraîne des répercussions plus ou moins favorables, ou franchement désastreuses, sur son environnement. C'est le sens des récits bibliques du Paradis terrestre et de la Chute, mais aussi des psaumes de louange de Dieu à travers sa création.
Dans le christianisme, du fait de l'incarnation du Verbe, de sa descente en ce bas monde, la création tout entière se trouve valorisée. Les Pères de l'Eglise, les théologiens, les prédicateurs, la liturgie comme l'humble prière du chrétien associent les créatures matérielles à la destinée de l'homme sauvé, s'inspirant en cela du célèbre texte de l'épître de Paul aux Romains : « La création tout entière attend d'avoir part à la libération des fils de Dieu » (8,21). Cependant, tous les chrétiens n'ont pas vécu cette relation à l'univers matériel avec un égal bonheur. Certaines époques ou certains courants religieux, au cours des siècles, ont même été d'un pessimisme foncier devant une nature qui leur apparaissait comme hostile ou défigurée, comme un lieu d'épreuve ou d'exil.
Ce qui fait l'intérêt de l'expérience spirituelle de François d'Assise, c'est son authenticité chrétienne et sa capacité à engendrer une théologie originale et bien enracinée dans la tradition biblique. Cette expérience a séduit de nombreux disciples qui la proposent encore aujourd'hui aux chrétiens comme une autre vision possible du cosmos. Ainsi, lorsque Jean-Paul II a proclamé François patron des écologistes, le 29 novembre 1979, il entendait inviter les chrétiens à jeter sur le monde un regard bienveillant et fraternel, respectueux et convivial, sur une nature aujourd'hui menacée ou accaparée par les plus riches au détriment des faibles.
La vision franciscaine du créé peut être envisagée à deux niveaux : au plan pratique qui a été l'expérience vécue par François, ses paroles, ses écrits trop peu abondants, ses exemples relatés par ses disciples ; et au plan de la réflexion théologique faite par ses disciples immédiats et par les théologiens franciscains.
 

L'EXPÉRIENCE DE FRANÇOIS


Ce que l'on sait de la jeunesse de François d'Assise, au début du XIII* siècle, par le témoignage de ses compagnons originaires eux-mêmes de cette cité, c'est qu'il était un jeune homme doué pour la vie, la poésie, l'appréciation de la beauté. Quelques épisodes conservés dans les premiers récits montrent un homme généreux, prodigue même, aimant les fêtes et les beaux habits, admirant la beauté et la douceur de la campagne ombrienne, prompt à la louange et au chant dans ses émotions esthétiques et religieuses, admirateur des troubadours qui célébraient la chevalerie et l'amour courtois. Sa conversion, à l'occasion d'une maladie, d'une déception de ses projets militaires, de l'expérience de la solitude, puis de la prière, enfin de la rencontre de l'image du Christ dans un lépreux et dans le crucifix de l'église de Saint-Damien, n'effacera pas ses dispositions naturelles, mais l'amènera à contempler la générosité de Dieu à son égard, puis à l'égard de tous les eues.
Déçu par son propre père, il voit en Dieu un Père munificent qui comble tous les êtres de ses bienfaits, qui pardonne avec bonté et miséricorde les fautes de ses créatures et qui les restitue dans leur beauté originelle. Peu à peu, François fait l'expérience de la fraternité lorsque des disciples se groupent autour de lui pour mener une vie selon l'Evangile du Christ. Ayant choisi la pauvreté, il éprouve chaque jour davantage cette générosité de Dieu. Il considère tous les biens comme des dons et refuse de s'approprier ce qui a été créé pour le bonheur de tous. Il a en horreur l'argent qui établit des relations « commerciales » entre les êtres, tandis qu'il préconise des relations fraternelles d'échange et de partage : « Si nous avions des biens, il nous faudrait des armes pour les défendre (...), et tout cela n'est qu'entrave à l'amour de Dieu et du prochain. »
Pour François, l'amour du prochain, parce qu'il est image de Dieu, entraîne les sentiments fraternels pour toutes les créatures, créées elles aussi par le Père pour manifester sa gloire et pour le bonheur des créatures spirituelles. L'amour de François pour toutes les créatures a été relevé par tous ses biographes : ils en témoignent par une foule de récits, plus ou moins merveilleux ou légendaires, mais l'unanimité est telle qu'on ne peut les mettre en doute. « On n'avait jamais vu une pareille affection pour toutes les créatures. »
 

De l'expérience spirituelle à la théologie


François fut canonisé deux ans après sa mort, et aussitôt la curie romaine chargea l'un de ses compagnons qui avait un certain talent littéraire de rédiger sa vie. Thomas de Celano, qui avait fait quelques études, était imprégné de la théologie monastique, fort dépendante de saint Augustin, comme l'était également la prédication de l'époque. C'est donc à travers la théorie augustinienne de l'exemplarisme que le biographe interpréta l'expérience spirituelle de François, chantre de la création. C'est en effet Augustin qui a inauguré une vision du monde créé où peut être lue la triple signature du Créateur, à partir des attributs divins appropriés à chacune des personnes de la Trinité, de Puissance, Sagesse et Bonté. A la première personne, le Père, il convient d'attribuer la Puissance divine, car il est lui-même la source jaillissante de la divinité et l'origine absolue des deux autres personnes avec et par lesquelles il a créé le monde. La Sagesse nous réfère au Fils, Verbe divin en qui le Père exprime éternellement tout son pouvoir. Chaque être a été conçu par une intelligence qui donne à chaque chose son sens, sa vérité, son intelligibilité et sa beauté. Enfin, la bonté créée en chaque être nous réfère à l'Esprit Saint qui procède de l'amour du Père et du Fils. Chaque être a sa part de bonté, d'utilité, en quoi il est aimable par Dieu et par les autres créatures.
Comme les autres contemporains de François, Celano fut frappé par l'attitude aimante et contemplative du saint vis-à-vis de toutes les créatures : « Qui pourrait nous retracer la douceur inondant son âme, lorsqu'il retrouvait dans les créatures, la sagesse, la puissance et la bonté du créateur ? A contempler le soleil, la lune, le firmament et toutes ses étoiles, il se sentait monter au coeur une joie ineffable » 1. Cette joie s'est magnifiquement exprimée dans son « Cantique de Frère Soleil », une des premières poésies de la langue italienne.
 

LA CRÉATION CHEZ SAINT BONAVENTURE


Le Docteur séraphique, qu'on appelle aussi l'« Augustin du xiir* siècle », a intégré l'expérience de François à sa synthèse théologique. Dans les processions trinitaires, acte d'amour éternel, le Père engendre son Fils égal à lui-même, qui est également le Verbe en qui il s'exprime lui-même, en qui il exprime la procession de l'Esprit Saint, mais aussi tout ce qu'il peut faire et tout ce qu'il fera, c'est-à-dire l'ensemble des créatures. Dans la procession éternelle de l'Esprit, le Père aime aussi tout ce qu'il veut faire» c'est-à-dire les créatures qui, du fait de cette volonté amoureuse, seront réalisées.
Ainsi les créatures sont-elles des expressions de la sagesse et de l'amour de Dieu et nous renvoient-elles à leur auteur. Les créatures spirituelles sont des « images » de Dieu ; les autres s'échelonnent, selon leur ressemblance, en ombres, en vestiges. Mais toutes sont créées par un Dieu munificent et libéral. C'est pourquoi les créatures doivent se recevoir comme des dons gracieux, et les créatures intelligentes, conscientes d'exister parce qu'elles sont aimées, doivent aussi recevoir les autres êtres comme des dons qui leur sont destinés pour accompagner leur pèlerinage de retour à Dieu. C'est là le fondement de la pauvreté franciscaine : ne rien s'approprier pour soi seul de ce qui appartient à tous. Faire hommage à Dieu de ce qui lui appartient : « Tout-puissant, très saint et souverain Bien, bien universel, bien total (...) Puissions-nous toujours rapporter à toi seul tous les biens ! »
 

Une vision sacramentelle du créé


Au sein de la création matérielle, l'homme a un rôle particulier à jouer, parce qu'il est le bénéficiaire des dons de Dieu et que, par son intelligence, il peut « lire » la création qui est une parole de Dieu, un verbe créé qui reflète le Verbe éternel :
 
« Dieu a créé toutes choses à cause de lui-même, c'est-à-dire qu'étant puissance, sagesse et bonté, il a fait toutes choses en vue de sa propre louange (..), en vue de sa propre manifestation (. ), en vue de sa communication ( .) Or, approuver la louange, connaître la vérité, jouir des dons, tout cela n'appartient qu'à la créature raisonnable. Quant aux créatures dépourvues de raison, elles ne peuvent être immédiatement ordonnées à Dieu, mais elles le sont par la médiation des créatures raisonnables Et parce qu'il appartient à la créature raisonnable de connaître et d'assumer librement d'autres biens par sa volonté, elle est elle-même apte à être immédiatement ordonnée à Dieu » 2.

Ainsi, les créatures dans leur ensemble, et chacune pour sa part, sont faites pour l'homme, afin qu'il puisse les lire, découvrir le sens sacramentel sous leurs diverses apparences, entrevoir quelque chose de la grandeur infinie de Dieu, de son amour, de sa beauté. Dans cette contemplation, l'homme se découvre lui-même comme ordonné à Dieu, « capable de Dieu », selon la formule d'Augustin. C'est pourquoi la contemplation spirituelle de la création, l'application de notre intelligence pour découvrir la vérité des êtres, leurs propriétés, leur bonté, le bon usage, honnête et désintéressé, des biens mis à notre disposition par le Créateur, sont un culte rendu à Dieu et un moyen providentiel de nous en approcher. La création est le lieu de notre salut.
 

La création comme révélation de Dieu


« Dieu a créé toutes choses, en vue de sa propre manifestation. » Il s'agit bien entendu de la manifestation de Dieu aux créatures spirituelles, douées d'intelligence, seules capables de recevoir et de lire cette « parole de Dieu » (« verbum creatum »). La Trinité créatrice signifie son existence et sa bonté par la multitude de ses oeuvres qui présente aux créatures spirituelles un univers significatif et sacramentel. Celles-ci sont investies d'un véritable sacerdoce : prêter leur voix pour faire retentir la louange de Dieu, dans l'adoration et l'action de grâce, comme l'a fait durant sa vie François d'Assise :
 
« Il se servait de toutes les créatures comme des miroirs pour contempler la bonté de Dieu. En toute oeuvre, il admirait l'ouvrier, il référait au Créateur les qualités qu'il découvrait à chaque créature. Il se réjouissait pour tous les ouvrages sortis de la main de Dieu, et de ce spectacle qui faisait sa joie il remontait jusqu'à Celui qui est la cause, le principe et la vie de l'univers. Il savait dans une belle chose contempler le Très-Beau ; tout ce qu'il rencontrait de bon lui chantait : "Celui qui m'a fait, Celui-là est le Très Bon !" Il poursuivait à la Uace son Bien-aimé en tout lieu de sa créauon, se servant de tout l'univers comme d'une échelle pour se hausser jusqu'au trône de Dieu. On n'avait jamais vu pareille affection pour toutes les créatures ; il leur parlait du Seigneur et les invitait à la louange » 3.
 

L'homme nouveau dans un monde réconcilié


Ce qui permet à François de regarder le monde avec cette attention fraternelle et d'y découvrir la présence de Dieu, c'est sa propre conversion spirituelle. Décidé à suivre Jésus Christ jusque dans sa Passion, il ne se laisse pas dévier de sa route par un usage égoïste des choses. Il jette sur ce monde le regard du Christ qui fait hommage de toutes choses à son Père, il voit les créatures matérielles comme destinées à permettre à l'homme de faire sa pâque, son passage vers Dieu, en entrant dans le Royaume, le monde nouveau où toutes les créatures s'ordonnent par rapport au Christ ressuscité. A la suite de Jésus, François pénètre lui-même dans le Royaume où la charité commande toutes les relations de l'homme à Dieu, à ses frères, à tous les êtres, où les béatitudes évangéliques inspirent toutes les démarches d'ici-bas. Se comportant en toutes circonstances comme un fils de Dieu, il répond à l'impatience des créatures jusque-là dominées par l'homme pécheur.
Lorsqu'ils eurent constaté que les créatures répondaient amicalement au comportement fraternel de François, ses disciples et ses biographes virent unanimement en lui un homme nouveau qui, tel Adam, se promenait dans une création amie. Celano « croyait voir en lui un homme nouveau, un homme du siècle à venir » 4, tandis que Bonaventure constate qu'à l'instar des deux Adam François pouvait se faire obéir des créatures qui reconnaissaient en lui un vrai fils de Dieu : « Saint François, parvenu à cette pureté qui unit la chair à l'esprit et l'esprit à Dieu dans une merveilleuse harmonie, se voyait obéi, lui aussi, par ordre de Dieu, lorsqu'il exprimait un désir ou une volonté, par la créature soumise au Créateur » 5. D'où ces récits merveilleux, parfois légendaires, qui nous le montrent tantôt parlant aux oiseaux ou aux poissons, tantôt accompagné par un lièvre ou un faucon, ou encore faisant taire des hirondelles trop bruyantes et commandant à volonté le chant des cigales.
La liberté de François dans la création vient aussi de son ascèse. Cet homme qui vibrait devant la beauté créée était capable de tous les renoncements. Pauvre devant tous les êtres, il savait les accueillir comme des dons généreux de Dieu, qui ne lui étaient pas dus. Il savait apprécier dans l'action de grâces et se priver sans interrompre ses louanges. Son ascèse n'est ni une performance ni un mépris des choses. Il laisse chanter dans son coeur la beauté de ce qu'il ne possède pas ou de ce qu'il ne peut plus voir. C'est précisément au plus fort de ses souffrances physiques que lui infligeait la maladie et de l'épreuve morale de voir son idéal un peu rabaissé par ses frères qu'il composa son fameux « Cantique du Soleil ». Aveugle, il ne pouvait plus voir la lumière du jour, mais il entonne la grande action de grâces pour le Soleil, symbole de la gloire du Très-Haut :
 
« Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire frère Soleil, par qui tu nous donnes le jour, la lumière : il est beau, rayonnant d'une grande splendeur, et de Toi, le Très-Haut, il nous offre le symbole ! »
 

LA CRÉATION SELON DUNS SCOT


Pourquoi Dieu a-t-il créé ? Aucune créature, hormis le Christ ressuscité, ne peut répondre parfaitement à cette question qui appartient au mystère même de Dieu. L'agir divin porte en lui-même sa propre justification. La seule réponse de l'homme à la question posée serait :  « Parce que Dieu l'a voulu ainsi ! » Néanmoins, nous sommes invités à poser cette question et à y répondre, puisque Dieu nous a parlé et s'est manifesté à nous et qu'il prend l'initiative de se révéler à notre intelligence, avec un langage que nous pouvons entendre et une logique que nous pouvons comprendre.
L'unique motif de la création qui puisse être connu de l'homme et que nous a confirmé Jésus, c'est que, Dieu étant l'Amour, il a créé pour associer à son bonheur des créatures susceptibles d'accueillir et de partager cet amour béatifiant. Il a voulu en premier lieu cette créature qu'il prévoyait devoir être totalement disponible à cet amour et à l'union parfaite avec l'Etre divin en la personne de son Fils bien-aimé. Dans la mesure où cette créature dépasserait totalement en dignité, en sainteté, toutes les autres à venir, c'est premièrement celle-là que Dieu aimait et voulait. Le Christ se trouve ainsi à l'origine du dessein créateur, et ceci logiquement avant toute prévision de la chute possible et du refus de certains, fut-ce de tous, hormis ce Fils bien-aimé.
Le désir divin de communiquer son amour à quelqu'un d'extérieur à Dieu pour l'unir à l'amour béatifiant de la sainte Trinité est donc pleinement réalisé en Jésus Christ. Mais alors, il ne peut être question de limiter l'Incarnation à la réparation de la chute des hommes. Dans un texte célèbre, Jean Duns Scot affirme la prédestination du Christ, indépendamment de toute autre créature : « On dit que la chute est la raison nécessaire de la prédestination du Christ (...) J'affirme cependant que la chute n'est pas la cause de cette prédestination. Bien plus, si aucun ange ni aucun homme n'était tombé, le Christ aurait cependant été prédestiné, même si rien d'autre n'avait dû être créé que le seul Christ » 6.
Bien sûr, cette affirmation est paradoxale dans la mesure où, de fait, la création ne s'est pas limitée au seul Christ, mais, au contraire, porte sur tout le déploiement et l'évolution du cosmos et de l'histoire des hommes. Duns Scot n'en est que plus libre pour affirmer la totale subordination de toutes les créatures à la prédestination du Christ, commentant ainsi l'hymne christologique de l'épître de Paul aux Colossiens : « Il est, lui, le premier-né de toutes créatures, car c'est en lui qu'ont été créées toutes choses dans les deux et sur la terre, les visibles et les invisibles, tout par lui et pour lui » (1,15-16).
 

L'ACTUALISATION DE LA VISION FRANCISCAINE


Les disciples de François d'Assise, aujourd'hui, n'éprouvent aucun complexe à se référer à leur tradition spirituelle et théologique qu'ils ne considèrent pas comme anachronique, même si la méthodologie des scolastiques des xiil-xrv siècles et leur vision du monde peuvent être difficilement conservées. Car l'expérience spirituelle de François transcende ses expressions théologiques et les représentations du monde antique. En premier lieu parce qu'elle s'appuie directement sur l'Ecriture sainte, mais aussi parce que la reconnaissance de l'autonomie d'une connaissance rationnelle et positive de la création matérielle, telle que la pratiquent l'homme moderne et les scientifiques d'aujourd'hui, n'est nullement contradictoire avec une autre approche du créé à travers la foi surnaturelle.
La science positive n'épuise pas la vérité des êtres, et, surtout, elle se refuse à atteindre leur signification et leur finalité. C'est ce qu'avait bien vu l'historien des doctrines médiévales que fut Etienne Gilson :
 
« Si l'on cherche à formuler le rapport du monde à Dieu dans la langue de Platon, il faut recourir à des relations d'image à modèle. Telle est bien, en effet, la terminologie dont usait constamment Augustin et qu'avaient reprise après lui les augustiniens du XIIT siècle, dont le plus grand reste saint Bonaventure Le monde sensible apparaît alors comme le miroir où passent les reflets de Dieu, un recueil d'images pour une théologie illustrée. L'univers est d'ailleurs vraiment cela. La spiritualité chrétienne ne saurait consentir à se laisser dépouiller de cette "spéculation" de Dieu dans le miroir de la nature, si merveilleusement pensée par saint Bonaventure, si divinement vécue par saint François d'Assise » 7.

Si les hommes d'aujourd'hui sont en quête de sens, de spiritualité, d'harmonie, de rencontre bienveillante avec autrui, d'espérance sur le devenir du monde et l'aboutissement de son histoire, ils peuvent méditer sur la façon dont François et ses disciples ont conservé la joie de contempler ce monde et d'y trouver la confiance en la bonté miséricordieuse du Créateur. Pour ceux qui recherchent une rencontre fraternelle et conviviale avec tous les êtres, à commencer par leurs semblables, quels que soit leur condition, leurs richesses, leurs faiblesses, leurs péchés, leur réussite ou leur déchéance, François propose la fraternité universelle entre tous les êtres sortis de la main de Dieu, il invite ses frères « à se réjouir davantage du Bien que Dieu réalise dans les autres plutôt que de leur bien propre ».
Là se trouve le secret d'un monde en paix, de la paix universelle que François annonçait. Car il ne peut y avoir de paix pour le monde sans respect des oeuvres de Dieu, sans reconnaissance du prix inestimable des êtres sortis de la main de Dieu, sans recherche d'une juste distribution des biens terrestres créés pour le bonheur de tous. Une vision spirituelle et christique de la création, comme celle qui a été vécue et proposée par François, demeure une source constante d'inspiration et d'action d'abord pour les croyants, mais aussi pour tous ceux qui se reconnaissent ici-bas comme des frères.



1. Vita prima, 80
2. Commentaire du deuxième Livre des Sentences, d 16, a 1, q 1
3. Thomas de Celano, Vita 2a, n° 165
4. Vita prima, 82
5. Leg. major V, 9
6. Repàrtatw Pans, III, d 7, q 4, n 4
7. Le thomisme, Vnn, 1942, p 119