Voici un petit livre fort à propos, au coeur de notre actualité marquée par des violences perpétrées au nom de Dieu. Dans ce contexte, où toute tradition religieuse est invitée à une revue de son héritage, le projet de Philippe Abadie n’est pas « d’absoudre la Bible de toute violence » (p. 7) mais de comprendre comment elle propose « une catharsis » (p. 7), un chemin de conversion pour sortir de la violence. Fidèle à l’esprit de la collection, la lecture en est simple et vivante.
Traversant le Premier Testament, l’auteur souligne que la Bible s’inscrit dans un contexte historique, culturel, s’exprime dans des genres littéraires précis. Les théologies qui travaillent les textes ne sont pas uniformes. La lecture comparée de l’épisode du déluge raconté par la Bible et par des textes du Proche-Orient ancien permet, par exemple, de sentir les inflexions apportées par les auteurs bibliques. Derrière la violence du sens littéral, ils ont aussi disposé de « bienheureux contre-feu » (p. 55) qui autorisent une autre lecture.
Le chapitre 8 sur le silence du Serviteur mérite une attention particulière. « La modalité du serviteur n’apparaît plus liée à la force et à la violence, mais à une douceur qui désarme toute violence parce qu’elle est d’abord combat contre ses propres forces de mort » (p. 79), attitude qui renvoie à Jésus, à ce que Martin Luther King appelait « la force d’aimer » (p. 101).
Pourtant des ambiguïtés me semblent apparaître quand l’auteur aborde les gestes de Jésus. Il écrit : « Jésus […] frappe les marchands » (pp. 83 et 6). Or tous les évangiles utilisent le verbe enkranllô qui signifie « mettre dehors ». Si Jésus appelle à une « attitude de rejet de la violence elle-même » (p. 100), comment pourrait- il alors lui-même l’utiliser ? Le mot « violence » appliquée à Jésus est parfois mis entre guillemets (p. 85) comme pour souligner une distance, mais pas toujours (p. 89). Si la violence au nom de Dieu est fortement condamnée, un certain malaise n’est pas entièrement dissipé. Certes, la Bible ne contient pas de définition de la violence, ni une doctrine clés en main de la non-violence, mais elle nous oriente vers un Dieu relation en lui-même. L’exégète aura légitimement des difficultés avec un recours au dogme trinitaire, mais peutêtre conviendrait-il de faire jouer plus étroitement les synoptiques et saint Jean, qui font entendre d’autres harmoniques quand il présente les relations entre le Père, le Fils et l’Esprit, ainsi que les exigences posées pour vivre de ces relations.
Loin de ternir les qualités pédagogiques de cet ouvrage, ces remarques n’ont pour but que d’inciter le futur lecteur à approfondir plus radicalement le chemin de la non-violence que Jésus a vécu jusqu’au bout.
 
Frédéric-Marie Le Méhauté