Les soignants ont pris conscience, depuis une trentaine d’années, que soigner quelqu’un, ce n’est pas seulement s’intéresser à sa maladie ou à ce qui lui fait mal. Cela s’est fait progressivement, même si c’était très présent dans les premiers temps où le soin s’institutionnalisait, au temps des premiers hospices (Clément An-Dung Nguyen).

De nombreux soignants ont une vie spirituelle. Continuer à vouloir ignorer cette réalité, renvoyer chacun à sa sphère privée, empêcher le partage de ce qui se vit réellement, n’est-ce pas se priver de ce qui pourrait s’avérer une ressource précieuse au service de la qualité des soins (Isabelle Rémy-Largeau) ? Ainsi, les jeunes externes qui ont une vie spirituelle partagent une approche humaniste avec sans doute plus d’intensité que la plupart de leurs « confrères » : qualité de l’écoute, douceur, attention à la pudeur, délicatesse des paroles, respect de la dignité, souci profond d’explication, approche globale du patient (Patrick Langue). Une sage-femme écrit dans le même sens : « À travers mes consultations ou les entretiens, j’essaie d’ouvrir mon champ à l’écoute de cette personne, qui n’est pas seulement un dossier ou une patiente lambda. J’ai un peu l’impression de lui tenir la main pendant un temps privilégié, avant de la transmettre à mes collègues, puis de la laisser faire son bout de chemin » (A.-S. T.).
Le soignant peut de la sorte trouver la force et le goût de réagir, de susciter des échanges et des rencontres destinées à permettre aux émotions de se dire, à la parole de circuler, et à la créativité de surgir. Cela exige un travail de maturation et d’acceptation de ses propres limites. Il y va du bien des personnes soignées. Il est tout autant indispensable de prendre soin de soi-même (Patrick Verspieren). Écho d’une pédopsychiatre : « Consentir et puis demeurer, plus humble, plus silencieuse peut-être, avec celui qui souffre. Et puis, recevoir ce qui reste : notre commune humanité, notre fragile communion, prémices de cette éternelle communion où un Autre nous aura rendu définitivement présents les uns aux autres, définitivement aimants, définitivement vivants » (Emmanuelle Maupomé).

Dans l’immense majorité des cas, le médecin n’a jamais éprouvé dans son corps les douleurs ou les troubles dont lui parle le patient. La maladie est devant lui comme un problème à résoudre : la médecine ne cherche à connaître que parce qu’elle cherche à agir, et en cela elle n’est pas une science (Jean-Marie Gueullette). Une incertitude qui rend modeste un médecin en milieu scolaire : « Tant de fois je peux me laisser aller au pessimisme face aux déterminismes familiaux, aux conditions économiques et sociales déplorables, au manque de moyens ou de structures adaptées. Mais la lumière qui fait vivre est possible, à protéger et faire grandir » (Marie Bellon).

Pour Jésus, la grande initiation à l’art de soigner les plaies les plus profondes de notre humanité est de renvoyer ses disciples à la connaissance d’eux-mêmes. La seule aide que le Maître puisse apporter à ses disciples est de leur proposer l’appui de sa propre foi en Celui qu’il appelle « Père » (Maxime Gimenez). À cette lumière, une responsable d’aumônerie en hôpital témoigne : « Lorsqu’il m’a été demandé d’expliquer les rites religieux au moment de la mort, j’ai constaté que les élèves infirmiers demandaient des “recettes”. Il leur faudra souvent plusieurs années de pratique pour passer du simple faire à un être avec… » (Madeleine Loison). Deux aspects qu’expérimente un médecin en soins palliatifs : « J’ai un truc presque infaillible. Avant de pénétrer dans la chambre d’un patient, j’invoque souvent l’Esprit : “Esprit de lumière et de sagesse, force du Créateur et gardien de l’âme de celui que je visite, donne-nous à tous les deux cette lumière et cette sagesse nécessaire à ce qui va advenir, cette rencontre à bâtir, cette parole à risquer, une présence à vivre, et si je n’y comprends rien, aide-moi à être au moins bienveillant et patient” » (Antoine Neuve-Eglise).