Rarement les sociétés humaines auront, comme la nôtre, autant été centrées sur l'individu et ses désirs. Le verbe qui caractérise notre société n'est plus « devoir », comme au siècle dernier, mais « pouvoir ». Les évolutions législatives en cours sur les questions dites de société y trouvent leur justification : mariage pour tous, aide médicale à la procréation et, probablement demain, gestation pour autrui.

De l'injonction à « être »… à la fatigue de l'âme

Au temps de Freud, le fonctionnement psychique était dominé par le surmoi, l'angoisse de castration, l'intériorisation de la loi et le sentiment de culpabilité face à la transgression. Aujourd'hui, le psychisme est dopé à l'idéal du moi, à l'autoréalisation, au développement personnel et à la promotion de la jouissance. Cette recherche de jouissance est essentiellement individualiste et narcissique. L'individu n'est plus valorisé dans la maîtrise ou la volonté mais dans le dépassement de ses limites et sa capacité à sortir du cadre. Il doit se distinguer, affirmer une spécificité, vivre cette exigence d'autonomie par des caractéristiques remarquables, être « hors du commun ». Il se définit alors moins comme un semblable que comme une exception. Comme si être seulement comme les autres était quelconque.

L'injonction à être soi-même constitue une norme essentielle des sociétés contemporaines. C'est une chance. Chacun peut y exprimer sa liberté et développer son autonomie. Être à l'écoute de ses désirs et en être un acteur. Sortir des identités et des voies décidées par d'autres pour entrer dans un chemin personnel. C'est aussi un fardeau. À partir du moment où la responsabilité de son destin incombe à l'individu lui-même, où la vie s'inscrit « en mode projet » et dans une perspective de dépassement perpétuel, l'individu devient responsable de sa réussite