Le professeur à l'Université catholique de Lyon (UCLy) s'intéresse à la vogue de la méditation, pratique privilégiée du « développement personnel ». Quatre millions de Français seraient concernés. Plutôt qu'à ses formes asiatiques (yoga, zazen, etc.), le père Jean-Marie Gueullette s'intéresse à celles qui viennent d'outre-Atlantique : méditation transcendantale et méditation de pleine conscience notamment. Il a raison de s'y intéresser : leur succès chez nous pourrait être révélateur d'une sérieuse évolution de ce que l'historien Paul Hazard (1878-1944) appelait la « conscience européenne », à tout le moins de la « conscience chrétienne ».

Ce type de méditation mobilise ceux qui, aux États-Unis, se présentent eux-mêmes comme spiritual but not religious (SBNR, « spirituels mais non religieux »). L'expression remonte à 1926. Ces méditants unchurched (« hors Églises ») sont les héritiers, qu'ils le sachent ou non, des philosophes « transcendantalistes » qui, au XIXe siècle, ont si puissamment marqué la culture américaine : Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau, Walt Whitman et William James notamment. D'origine protestante et enfants des Lumières, en rupture par rapport à leurs Églises, ces penseurs prônent une vie spirituelle exigeante, hors des sentiers battus par les institutions religieuses ; une spiritualité branchée sur la nature et les forces naturelles de l'esprit humain. Pour vivre en paix avec le monde, avec les autres et avec soi-même, la révélation d'un Dieu tout autre est devenue inutile. L'esprit de l'homme est « transcendant » à lui-même. Le dépassement de l'esprit par lui-même et l'accès à la paix intérieure que produit ce dépassement demeurent intérieurs à ce monde, à cette vie, à notre expérience psychologique : il n'est pas besoin de se référer à un autre monde, à une autre vie, bref, à un « Dieu ». Il suffit de faire place au « divin » qui est en nous et de laisser se dilater la liberté qui est notre apanage, hors institutions dogmatiques et hiérarchiques. La connaissance tient lieu de grâce et le confort psychologique, de salut.

Postérité du protestantisme libéral, cette « mystique naturelle » est diffusée dans les Departments of Spirituality dont sont aujourd'hui dotées nombre d'universités. Bref mais bien documenté, l'aperçu que fournit le père Gueullette est suggestif. Il invite à s'interroger : face à l'engouement rencontré en Europe par ces pratiques méditationnelles jusque dans les milieux catholiques, peut-on se contenter de souhaiter un « sain équilibre » entre dogme et expérience spirituelle, entre pratiques spirituelles et institutions ? La question se pose avec d'autant plus de gravité qu'elle s'est déjà posée au magistère catholique à l'orée du XXe siècle face à ce qui a été identifié, et condamné en 1907, sous le nom de « modernisme ». Le débat autour de ce que John Henry Newman appelait le real assent, les interrogations autour de la nature de la prière, du rapport entre l'expérience spirituelle personnelle et l'institution, les questions soulevées par les analyses d'Alfred Loisy, de George Tyrrell, du baron Friedrich von Hügel, de Maurice Blondel, d'Henri Bremond : tout cet impensé refoulé par la censure ecclésiale continue à travailler les consciences catholiques aussi. Le succès de ce qu'on aurait tort de considérer comme une importation exotique – au même titre que le Coca-Cola, le jean, le rock et le shit – l'atteste.