Alain Cugno est trop fin philosophe et il connaît trop bien son christianisme pour proposer une énième réponse aux questions sur l'existence du diable et l'origine du mal. Il cherche simplement à comprendre comment l'homme, même et surtout lorsqu'il se veut maître de lui comme de l'univers, en vient à faire le mal qu'il ne voudrait pas et à ne pas faire le bien qu'il voudrait, pour parler comme saint Paul. Nos moralistes répondent depuis longtemps que ce qui veut en nous, ce sont nos passions, pas notre raison. Certes, mais il faut être diablement malin pour neutraliser notre raison.

Ce livre est consacré à la diabolique malice qui se joue de nous, aux ressorts de ses « tactiques », qui intéressaient déjà C. S. Lewis. L'auteur les démonte avec jubilation. C'est surtout dans la Bible qu'il trouve le mode d'emploi : la mésaventure d'Adam et Ève, la belle histoire de Job, la mise à l'épreuve de Jésus au désert, la ténacité de la maman cananéenne, Judas enfermé dans sa solitude, saint Paul aux prises avec la Loi, mais aussi l'adolescent Augustin et son piteux poirier, notre perpétuel besoin d'être reconnu et nos instincts grégaires…

En tout cela, libre à nous de voir à l'œuvre « le diable probablement », comme dit l'Évangile selon Robert Bresson. C'est le travail de « séduction » qui intéresse surtout l'auteur. L'originalité et la force de son approche consistent à situer dans le langage même, dès son origine (voir Genèse 3), l'opération de séduction, c'est-à-dire de détournement, puisque séduire signifie étymologiquement « détourner ».

Le grand séducteur, c'est Don Juan, celui qui détourne les femmes du droit chemin. Éblouissante est l'analyse du mythe, à la suite de Søren Kierkegaard. Éblouissante mais, soyons honnêtes jusqu'au bout, parfois un peu difficile à suivre. Ce n'est pas par son physique que séduit Don Juan. C'est par son langage. C'est par les mots qu'il tourne la tête des femmes. Beau parleur. L'esthétique plus forte que l'éthique. Le comble est atteint lorsque s'en mêle la musique, comme dans l'opéra de Mozart : la musique, plus puissante que le langage, parce que plus abstraite que lui. « Ce qui manque à Don Juan, ce n'est pas le sens moral, c'est la conscience d'être un individu : il cesserait alors d'être un démon. » (p. 157).

La perpétuelle gaieté de Don Juan est factice. La musique de Mozart nous fait accéder à la joie. Ce petit livre invite, en conclusion, à « retourner la séduction du diable ». Il ne s'agit pas de « vouloir faire de sa vie une œuvre d'art », mais de la laisser s'orienter selon l'esprit. La poésie de Jean de la Croix peut y aider puissamment, et surtout l'appel de Jésus à la liberté : « Va là où la jouissance de ta liberté est la plus grande. » « Je suis convoqué par un plaisir que je n'éprouve pas encore. »