Jean-Louis SKA s.j. Exégète, Institut Biblique, Rome. A récemment publié : Abraham et ses hôtes : le patriarche et les croyants au Dieu unique (Lessius, 2002), De l’ancien et du nouveau : pages choisies de l’Évangile de Matthieu (Lumen Vitae, 2008), Le livre scellé et le livre ouvert : comment lire la Bible aujourd’hui ? (Bayard, 2011). Dernier article paru dans Christus : « La Bible, relecture de l’histoire d’Israël » (n° 198, avril 2003).
Les problèmes d’héritage sont aussi vieux que le monde et la Bible ne fait pas exception. Il suffit de penser à l’histoire d’Ésaü et de Jacob (Gn 25 et 27) pour s’en persuader. L’héritage est en général constitué des biens de famille qui passent des parents aux enfants, et c’est autour des ces biens matériels que naissent bien des conflits. Mais, à ce propos, il existe dans la Bible une ligne de réflexion différente dont fait état, par exemple, la maxime tirée du livre de Qohélet : « La sagesse est bonne comme un héritage ; elle profite à ceux qui voient le soleil » (7,11). S’agit-il d’une spiritualisation gratuite ? Ou faut-il y voir le fruit d’une profonde expérience ? Une brève enquête à partir de quelques textes connus permettra de donner une réponse nuancée à cette question.
« Je ne te céderai pas l’héritage de mes pères »
Il est un récit de l’Ancien Testament qui permet de réaliser immédiatement quelle est l’importance de l’héritage dans la Bible. Il s’agit du récit de la vigne de Nabot (1 R 21,1-29). Le récit est connu, mais il vaut la peine de s’attarder sur quelques détails présents dans les premiers versets. Achab, roi d’Israël, désire agrandir son domaine comme le ferait n’importe quel grand propriétaire. Il convoite la vigne de l’un de ses sujets, Nabot, vigne qui jouxte ses terres. La proposition du roi est plus qu’honnête, puisqu’il offre à Nabot soit une vigne meilleure, soit le prix qu’elle vaut (21,2). Mais Nabot refuse. Pourquoi ? Il faut lire avec attention sa réponse : « Que je devienne une abomination pour le Seigneur si je te cède l’héritage de mes pères » (21,3). Notons tout d’abord que Nabot ne parle pas de « sa » vigne, mais de « l’héritage de ses pères ». La nuance est importante, dans la mesure où elle indique que Nabot ne se considère pas comme le véritable propriétaire de la vigne. Il s’agit d’un bien collectif appartenant à la famille ou au clan. Il l’a reçu en héritage de ses ancêtres et (c’est implicite) il se doit de le transmettre intact à ses propres descendants. En second lieu, la réponse de Nabot est introduite par un serment. Il s’agit donc d’un problème sérieux, puisque toucher à l’héritage signifie entrer dans le domaine du sacré et des valeurs qui échappent à l’arbitraire humain. Nabot, en fait, n’a aucun...
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